Discours du Premier ministre du 30 mai 2016 – Commission nationale de Lutte contre le Travail illégal

Seul le prononcé fait foi

Mesdames et messieurs les ministres, Madame la députée, Mesdames et messieurs, Je suis heureux que nous nous retrouvions pour cette Commission nationale de lutte contre le travail illégal qui nous avait déjà réunis l’an dernier. Comme l’an passé, j’ai tenu à ce que la Commission se réunisse ici, à Matignon, avec l’ensemble des ministres concernés – et ils sont nombreux –, pour souligner toute l’importance que le gouvernement accorde à la lutte contre le travail illégal.

Car quelle que soit la forme qu’il prend, le travail illégal est un fléau. Il bafoue les droits des salariés, qui en sont les premières victimes. Il entrave les règles d’une concurrence loyale entre les entreprises. Il pèse sur le financement de la protection sociale et sur les finances publiques.

C’est pourquoi la lutte contre le travail illégal est l’affaire de tous. De l’État bien sûr, pour une réglementation qui dissuade et sanctionne la fraude de manière efficace. L’affaire de l’État aussi à travers ses services de contrôle, dont je sais qu’ils accomplissent, ensemble, un travail remarquable.

Mais aussi l’affaire des entreprises et de leurs représentants, qui doivent contribuer à ce que le droit soit partout respecté.

Et l’affaire des représentants de salariés qui ont, souvent, été en pointe dans ce combat.
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Le travail illégal mine tous nos principes. Il est la négation de l’État de droit, de ses règles qui s’imposent à tous, sans exception.

Contourner délibérément le droit, c’est remettre en cause ce qui fonde notre société.

Nous avons, ces dernières années, accompli un travail très important pour renforcer la loi contre le travail illégal, et tout particulièrement contre la fraude au détachement de salariés. Avec la loi de juillet 2014 contre la concurrence sociale déloyale – à laquelle a notamment contribué le député Gilles Savary, dont je salue ici le travail –, puis avec la loi d’août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, les obligations des employeurs de salariés détachés ont été fortement renforcées.
Il faut aller plus loin.

La fraude au détachement reste en effet beaucoup trop importante dans de nombreux secteurs. Je pense en particulier aux secteurs du bâtiment, des transports, de l’agriculture mais aussi de l’intérim ou de l’événementiel.

C’est ce que permettra le projet de loi « Travail ». Il contient des mesures importantes pour continuer de renforcer nos lois contre la fraude au détachement. Des mesures dont on parle trop peu et qui font que ce texte est un bon texte, pour les salariés comme pour les entreprises.

Avant d’entrer plus en détails dans la présentation du plan national de lutte contre le travail illégal 2016-2018, je laisse la parole à Madame la ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social pour dresser le bilan du plan 2013-2015, puis au ministre des finances et des comptes publics sur les résultats des contrôles.
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Les efforts menés ces dernières années contre le travail illégal et contre la fraude au détachement sont remarquables. Par le renforcement de la loi, par le ciblage des contrôles, par la réalisation d’opérations conjointes entre les services, nous parvenons à de très bons résultats.

Il faut être plus ambitieux encore. Pour à rendre les contrôles plus efficaces, plus visibles également. Mais surtout pour prévenir la fraude, pour empêcher qu’elle se produise.
En premier lieu, notre priorité est la lutte contre la fraude au détachement.

Il ne s’agit pas, évidemment, de rejeter le principe du détachement. Le détachement – je le rappelle – permet aux salariés de travailler dans un autre pays de l’Union européenne pour leur entreprise, en conservant le régime de protection sociale du leur pays d’origine, mais en se conformant aux règles essentielles du droit du travail du pays de destination.

Le détachement de salariés, quand il se déroule dans le respect des règles qui l’encadrent, est une chance. Et la France en bénéficie pleinement puisqu’elle est le troisième pays de l’Union à envoyer des salariés en détachement à l’étranger.

Mais il faut aborder le sujet avec lucidité : la fraude aux règles du détachement est aujourd’hui massive. Elle passe par des montages de plus en plus complexes. Elle organise un « dumping social » inacceptable. Elle transforme en menace ce qui, au départ, était une opportunité.
Pour lutter contre la fraude au détachement, trois leviers seront actionnés.

Premier levier, la révision de la directive européenne de 1996 sur le détachement.
L’accord obtenu en 2014 – auquel Michel Sapin a tant contribué – nous a donné des moyens supplémentaires de contrôle, qui sont rigoureusement appliqués.
Mais nous devons à présent renforcer les règles elles-mêmes du détachement et modifier dans ce sens la directive de base de 1996.

Depuis plusieurs années, la France plaide pour que cette directive soit révisée. Et nous avons réussi, avec d’autres pays – je pense notamment à l’Allemagne –, à ce que la Commission propose des évolutions en mars dernier. C’est une étape très importante, qui avait jusque-là échoué. Plusieurs propositions de la Commission vont dans le sens réclamé par la France – je pense à la limitation de la durée du détachement, je pense encore au principe « à travail égal salaire égal dans un même lieu ».

Mais c’est un combat de longue haleine qui s’engage. Plusieurs pays de l’Union ont enclenché la procédure dite du « carton jaune », qui va exiger de la Commission qu’elle revoie ses propositions.

Je sais que les évolutions précises qu’il faudrait apporter à la directive ne font pas nécessairement consensus entre les différents acteurs économiques et sociaux de notre pays. Il faut en discuter. Mais nous resterons déterminés à faire évoluer la réglementation européenne. Et nous y parviendrons, avec les autres pays qui, comme nous, sont attachés non seulement à la liberté mais aussi au respect des droits sociaux.

Le deuxième levier contre la fraude au détachement est le développement de la coopération entre les services des pays de l’Union européenne.
Ces coopérations s’appuieront d’abord sur la plateforme européenne contre le travail non déclaré qui vient d’être mise en œuvre avec le soutien actif de la France. Tous les États membres de l’Union sont tenus d’y participer. Elle permettra d’échanger des informations, de mener des opérations communes contre le travail illégal, notamment dans le domaine du travail transfrontalier.

Cette plateforme européenne est un outil important, nouveau. Nous devons tous nous appuyer dessus pour développer des actions efficaces avec nos partenaires européens. Je demanderai qu’un suivi régulier des actions menées  soit réalisé.

Nous devons également intensifier les coopérations bilatérales, en particulier avec les principaux pays qui procèdent à des détachements en France, et développer des contrôles conjoints entre nos services.

Troisième levier, le renforcement de nos lois contre la fraude au détachement.
Myriam El Khomri l’a dit, nos lois ont déjà beaucoup évolué ces dernières années. De quoi s’agit-il ? Il s’agit de mieux contrôler le détachement mais aussi, je le dis clairement, de créer des sanctions dissuasives. En faisant passer certaines sanctions, de la sanction pénale à la sanction administrative, nous nous sommes déjà donné les moyens de frapper beaucoup plus vite et plus efficacement.

Le projet de loi « Travail » s’inscrit dans cette logique. Il vise d’abord à garantir que les salariés détachés seront bien déclarés. En cas d’absence de déclaration, les prestations de service internationales seront tout simplement arrêtées, suspendues. Les donneurs d’ordre auront la responsabilité de veiller au respect de l’obligation de déclaration chez leurs sous-traitants. Au cas où le salarié n’aurait pas été déclaré par le sous-traitant, la responsabilité de la déclaration sera transférée au donneur d’ordre, sous peine de sanctions. Car il est aujourd’hui trop facile de fermer les yeux sur les pratiques de ses sous-traitants. Un « droit de timbre » sera également mis en place pour toutes les entreprises étrangères qui détacheront un salarié en France, afin de compenser les coûts liés au système de déclaration dématérialisé. Et des dispositions spécifiques sont prévues dans le secteur agricole, pour renforcer encore les moyens de lutte contre la fraude.

Par ailleurs, il faut continuer le travail très important déjà engagé pour des contrôles efficaces.

La priorité sera donnée à la lutte contre les fraudes complexes – je pense à ce type de fraudes qui utilisent, par exemple, des montages de sociétés « en cascade » – qui sont difficiles à détecter et à détruire, mais qui sont particulièrement nuisibles. Cette méthode de ciblage a fait ses preuves ; elle doit être poursuivie.
Parmi ce type de fraude, le recours abusif aux entreprises de travail temporaire se développe. La possibilité de mieux encadrer le recours au travail temporaire, dans le respect du droit européen, est une question qui sera approfondie avec le ministère du Travail et avec le secteur concerné. Il n’est pas acceptable que les souplesses permises par le travail temporaire soient utilisées de manière frauduleuse.

Le travail dissimulé ou le faux travail indépendant dans les activités émergentes liées aux plateformes numériques doivent être mieux détectés et sanctionnés. Il ne s’agit pas de freiner le développement de ces nouvelles activités, mais ce développement ne peut pas être anarchique et s’extraire du respect des règles applicables en matière sociale et fiscale.

Les contrôles viseront aussi les formes de travail illégal les plus graves – je pense aux conditions indignes d’hébergement ou les conditions de rémunération et de travail. Les victimes en sont toujours les travailleurs les plus vulnérables. L’obligation de vigilance et de résultat, fixée aux maîtres d’ouvrage et aux donneurs d’ordre sur l’hébergement, doit être une réalité. Les services auront un objectif clair d’éradiquer ce genre de situations par la voie pénale ou administrative.

L’organisation et les moyens des services seront adaptés aux enjeux. Au niveau national, une instance nationale de pilotage sera créée pour faciliter la mise en œuvre du plan national de lutte contre le travail illégal. Elle réunira les services de lutte contre le travail illégal, sous la co-présidence de la direction générale du travail, de la direction de la sécurité sociale et de la délégation nationale de lutte contre la fraude. Le ministère de la Justice sera également invité à participer à ses travaux. Elle permettra d’aller encore plus loin dans la coordination des différents services.

Dans le même esprit, les contrôles conjoints entre les différents services seront encore intensifiés. L’objectif fixé dans le plan précédent de 25% d’interventions conjointes sera maintenu sur l’ensemble des secteurs mais il passera à 50% dans les secteurs prioritaires tels que le bâtiment, l’agriculture ou les transports, où les montages sont de plus en plus complexes.

Pour ce qui concerne les actions ciblées donnant lieu au recouvrement de cotisations, nous nous fixons un objectif très ambitieux de 85% des opérations menées. Nous réaffirmons ainsi clairement notre méthode, qui n’est pas de viser tout le monde de manière indifférenciée, ce qui n’aurait pas de sens, et serait peu efficace, mais au contraire de cibler, par un travail préalable approfondi d’information et d’enquête, les cas de fraudes graves avérées.

Au niveau régional, nous demanderons désormais aux préfets de région d’élaborer une note d’orientation, en collaboration avec les procureurs et avec l’ensemble des services de contrôle et de sécurité, qui constituera, en quelque sorte, un plan régional de lutte contre le travail illégal. Cette note définira les priorités adaptées aux spécificités régionales. Elle sera le cadre de référence des plans d’action de chacun des services de contrôle, des actions coordonnées des CODAF, des actions de prévention, de sensibilisation et de communication des services en charge de la lutte contre le travail illégal.

Les sanctions pénales et administratives qui ont été mises en place grâce aux lois que nous avons votées depuis 2014 devront être pleinement effectives – je pense au retrait d’exonérations de cotisations sociales, je pense aussi au pouvoir donné dorénavant aux préfets de suspendre la prestation de services voire de prononcer la fermeture administrative en cas de manquements graves.

Mais il ne faut pas seulement sanctionner. Il faut aussi que nos concitoyens, les chefs d’entreprises bien sûr, mais aussi les « particuliers employeurs », prennent bien conscience des enjeux du travail illégal et de la fraude au détachement.

C’est pourquoi une campagne d’information de grande ampleur va être lancée au niveau national. Elle visera à alerter l’ensemble de nos concitoyens sur les effets destructeurs pour notre modèle social du recours au travail illégal.

Le droit doit être protecteur. Le droit doit être respecté.

Et nous agirons contre la publicité sous toutes ses formes qui fait aujourd’hui la promotion de pratiques frauduleuses.

Cette campagne nationale sera articulée avec des plans de communication régionaux. Nous avons en effet renforcé notre arsenal juridique pour lutter contre les fraudes et nous avons intensifié notre politique de contrôle dans des proportions tout à fait spectaculaires. Mais pour que ces contrôles soient dissuasifs, nous devons impérativement communiquer plus largement, dans les territoires, sur les contrôles réalisés.

C’est pourquoi je demanderai à chaque préfet de région de coordonner un plan de communication régional sur les politiques de lutte contre le travail illégal. Ce plan supposera notamment que chaque CODAF communique plus particulièrement, chaque année, cinq à dix actions de contrôle particulièrement significatives. Je souhaite qu’ils associent également les partenaires sociaux et les principales fédérations patronales à ces actions de communication. La communication autour des actions de contrôles n’est pas seulement un enjeu de dissuasion, c’est également un enjeu de cohésion sociale et de crédibilité de notre politique.

Enfin, aux côtés des engagements des pouvoirs publics, c’est avec les représentants des salariés, les représentants des entreprises et les collectivités locales qu’il s’agit de définir les actions les plus adaptées. Une convention, exemplaire, existe déjà dans le secteur du bâtiment. La convention dans le secteur de l’agriculture sera également renouvelée. Une convention dans le secteur du spectacle vivant et enregistré, ainsi que dans le secteur de l’emploi à domicile, sont déjà programmées.

Ces conventions entre les pouvoirs publics et les partenaires sociaux sont essentielles. Elles permettent de répondre au mieux, de manière précise et adaptée, aux besoins de chaque secteur. Il faut poursuivre ce travail et étendre ces partenariats : c’est ce que je vous propose.

Je laisse maintenant la parole aux partenaires sociaux pour réagir à ce que Myriam El Khomri, Michel Sapin et moi-même venons de vous présenter en commençant, comme il se doit, par les organisations syndicales. Madame Verzeletti, si vous voulez bien commencer.
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Discours du Premier ministre du 30 mai 2016 – Commission nationale de Lutte contre le Travail illégal

Author: Redaction