Discours du Premier ministre – Commémoration de Yitzhak Rabin

Hôtel de Ville de Paris
 
 
Madame la Maire de Paris, chère Anne HIDALGO,
Madame l’ambassadrice d’Israël en France,
Mesdames, messieurs les élus,
Monsieur le président du CRIF,
Monsieur le président du Consistoire,
Mesdames, messieurs les présidents d’associations,
Monsieur le député, cher Isaac HERZOG,
Cher Nissim ZVILI,
Cher Bernard-Henri LEVY,
Mesdames et messieurs,
 
« Ne dis pas que le jour va venir. Fais advenir le jour ».
 
Ces mots, ces paroles – rappelées il y a un instant –, si justes et si belles, sont celles du Chant de la paix, entonné en cœur il y a 20 ans, quelques instants avant d’Yitzhak RABIN ne tombe sous les balles.
 
Ces mêmes mots – qui l’avaient guidé durant toute sa vie – ont, lors des obsèques, accompagné les pleurs de sa famille, de ses amis, de tout un peuple, de tous ceux qui, avec lui, avaient espéré. Et ce jour-là, le monde entier a porté son regard de chagrin vers Jérusalem. Et du monde entier, nombreux sont venus jusqu’au mont Herzl, le mont du souvenir, pour dire un dernier adieu à l’homme qui avait voulu, au fond, inventer un nouvel avenir.
 
20 ans après, ces mots résonnent encore dans le cœur de ceux qui ne se résignent pas. Ils sont ce précieux héritage que nous a légué Yitzhak RABIN.
 
Vous l’avez dit les uns et les autres, Yitzhak RABIN fut beaucoup : bâtisseur, comme tant d’autres, d’une Nation, aux premiers instants d’Israël ; défenseur – car soldat –, par les armes, de son peuple. Il sut aussi, aux plus hautes responsabilités de l’Etat, tracer une voie au cœur d’une période tumultueuse et d’une région tourmentée.
 
Oui, RABIN fut beaucoup.
 
Il reste, surtout, l’incarnation même de l’engagement. Pas seulement de l’engagement politique : un engagement absolu, passionné – d’abord bien sûr pour l’Israël.
 
Il reste le synonyme d’une intransigeance – son beau visage, son regard, sa voix, le rappellent. Mais d’une intransigeance réaliste, c’est-à-dire à la fois sûre de son droit et en même temps bien consciente du droit des autres.
 
Il reste pour nous ce qu’il y a sans doute de plus noble dans l’action publique : savoir exercer des responsabilités sans céder à la facilité du moment, sans plier sous le poids des contestations – aussi bruyantes et violentes soient-elles. C’est cette force qui fait le caractère des grands hommes ou des grandes femmes d’Etat.
 
Yitzhak RABIN fut de ceux-là ; de ceux qui savent interroger leurs propres convictions, composer avec les difficultés, prendre le risque d’un dépassement, d’une main tendue malgré la lourdeur du bras.
 
Je me souviens – je m’en souvenais ce matin en préparant cette rencontre – de cette affiche qu’avec d’autres j’avais fait réaliser pour le Parti socialiste. C’était en 1993. Sur fond bleu, il y avait simplement deux mains, celles de RABIN et d’ARAFAT, qui se serrent. Et ces mots, « Shalom » et « Salam », pour appeler à la paix, maintenant et pour toujours.
 
C’est pour cette volonté de réconciliation – que personne n’espérait, et que tout le monde attend encore aujourd’hui – qu’Yitzhak RABIN a été pris pour cible. C’est pour cela qu’il a été assassiné par un de ses compatriotes extrémistes, alimenté par un discours de haine qui surgissait dans le débat politique à l’époque.
 
Mais c’est aussi pour cela qu’il a reçu le prix Nobel de la paix, avec Yasser ARAFAT et avec son ami rival, Shimon PERES, vers qui ce soir vont aussi toutes nos pensées.
 
Rendre hommage à Yitzhak RABIN, c’est saluer ce symbole de l’intransigeance et du courage, ce « grand général » devenu un des premiers « soldats de la paix ». C’est aussi, inévitablement, mesurer le temps qui nous sépare des accords d’Oslo. Depuis, l’amertume a pris le dessus ; la désillusion a succédé à l’espoir. La paix que l’on envisageait alors, et qui semblait enfin à portée de main, a pris ses distances – et nous avons tous, pourtant, ce souvenir de cette cérémonie incroyable à la Maison Blanche. Peut-être est-ce à ce moment-là, avec cet assassinat, que nous avons changé de siècle.
 
Que d’occasions manquées depuis ! Et que d’espérances fanées !
 
20 ans plus tard, notre monde est un monde instable, un monde en guerre, dans lequel le terrorisme, le fanatisme islamiste font des ravages. Ils tuent dans les rues de Paris, d’Istanbul, de Bamako ou de Tel-Aviv.
 
Dans ce monde, les Juifs sont encore et toujours pris pour cible, victimes d’un antisémitisme virulent qui se dissimule derrière la haine d’Israël et derrière l’antisionisme. La haine d’Israël, l’antisionisme et l’antisémitisme ne font qu’un. C’est la même chose. Ils frappent au Proche-Orient, ils frappent aussi l’Europe – Anne HIDALGO le rappelait tout à l’heure, elle qui, maire de Paris, a été en première ligne face à ces événements tragiques que nous avons connus en 2015.
 
Et je le dis à mon tour : la France met toute sa force pour protéger les Juifs de France, pour faire que les Français juifs – qui sont légitimement attachés à la terre d’Israël, comme ils aiment leur pays, la France – regardent toujours la France comme leur mère patrie.
 
Et la France mettra aussi toute sa détermination pour faire vivre ces liens d’amitié si forts qui existent depuis si longtemps entre la France et Israël. Parfois, on s’interroge, et on m’interroge : pourquoi ce lien particulier avec Israël ? Ce lien particulier est unique ; pourquoi ?
 
Parce que nous sommes deux Nations sœurs qui, chacune à notre manière, parce que nous savons le poids de l’histoire, portons une part de l’universel.
 
Bien sûr, notre amitié est exigeante et honnête. Elle ne cessera jamais, je l’espère, de nous faire avancer.
 
Et avancer ensemble, nous devons le faire en suivant l’horizon qu’avait esquissé Yitzhak RABIN. Cet horizon, c’est celui d’une paix durable au Proche-Orient, établie entre deux Etats, Israël et la Palestine, aux frontières sûres et reconnues, deux Etats vivant côte à côte dans la sécurité. Deux peuples enfin prêts – et pourtant si loin – à dépasser les antagonismes et à bâtir un avenir commun. C’est pour cette solution que nous, vieux pays d’Europe, qui connaissons si bien le prix de la guerre et qui connaissons aussi la force de la réconciliation, ne cesserons de plaider.
 
« Nous avons réussi des choses impossibles ; nous avons moins bien réussi des choses possibles », avouait RABIN. Ce message, la France ne l’a jamais oublié. Il nous oblige.
 
Alors, la France, par l’action du président de la République et de sa diplomatie, est là ; prête à aider, à faciliter, à réconcilier, à alerter quand les impasses se dressent et empêchent le dialogue d’avancer.
 
La France est là, aujourd’hui, plus que jamais, contre tous ceux qui d’une manière ou d’une autre se mettent sur la route de la paix. Contre ceux, bien sûr, qui terrorisent ! Ceux, également, qui font le choix de la violence. Ceux, aussi, qui boycottent ! Car Israël est une démocratie. Et la France ne boycotte pas les démocraties. Elle ne boycottera jamais l’intelligence et la création.
 
Mesdames et messieurs,
 
Isaac HERZOG m’a fait plaisir en rappelant ces mots de CLEMENCEAU, dans son discours à Verdun en 1919, soulignant qu’il était bien plus dur de faire la paix que de faire la guerre. Ces mots n’ont rien perdu de leur pertinence et de leur actualité.
 
Reconstruire la paix, « faire advenir le jour », c’est ce chemin qu’Yitzhak RABIN à son tour avait choisi. Un chemin tortueux, exigeant, semé d’embûches ; mais le seul chemin qui vaille. Sans perdre notre cap, sans céder à la résignation, c’est ce chemin que nous tous nous devons, à sa suite, continuer d’emprunter.
 
Vive la paix !
 
Vive Israël !
 
Vive la France !
 
Et vive l’amitié entre Israël et la France !
Discours du 25 janvier 2016, Commémoration de Yitzhak Rabin

Author: Redaction