Discours d’Édouard Philippe sur le plan national de prévention de la radicalisation

Discours de M. Edouard PHILIPPE, Premier ministre

Présentation du plan national de prévention de la radicalisation

Lille – 23 février 2018

Seul le prononcé fait foi

Monsieur le ministre d’Etat Gérard COLLOMB,
Madame la Garde des Sceaux Nicole BELLOUBET,
Madame la ministre des Armées Florence PARLY,
Monsieur le ministre de la cohésion des territoires Jacques MEZARD,
Madame la ministre des solidarités et de la santé Agnès BUZYN,
Monsieur le ministre de l’éducation nationale Jean-Michel BLANQUER,
Monsieur le ministre de l’action et des comptes publics Gérald DARMANIN,
Madame la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche Frédérique VIDAL,
Madame la ministre des sports Laura FLESSEL,
Monsieur le Secrétaire d’Etat chargé du numérique Mounir MAHJOUBI,
Mesdames et Messieurs,

L’article 1er de notre Constitution nous rappelle, si nous étions tentés de l’oublier, que la République est « indivisible, laïque, démocratique et sociale ». Nous avons tous la conviction que ce qui nous rassemble, dans cette République, est plus fort que ce qui nous différencie, voire nous divise, et ce, toujours pour reprendre les mots de notre Constitution, « sans distinction d’origine, de race ou de religion. »

Pourtant il existe aujourd’hui, dans notre pays, des frontières intérieures. Invisibles ou ostensibles. Dans le calme apparent d’une ségrégation silencieuse ou dans la violence et l’effroi des attentats. Depuis 2014, date du premier plan de lutte contre la radicalisation, l’effort des pouvoirs publics s’est concentré, à juste raison, sur la radicalisation violente et le risque terroriste. A juste raison, car il y avait urgence, urgence dont nous avons nous-mêmes tenu compte, dès cet automne, avec la loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme.

Parallèlement, une démarche de prévention a été développée, reposant sur la détection, la formation, et l’accompagnement. A ce jour, près de 25 000 agents publics ont reçu une formation appropriée. Les circuits de signalement sont opérationnels, grâce au numéro vert et aux dispositifs préfectoraux. Parmi les jeunes signalés pour radicalisation, 2 600 sont pris en charge et 800 familles sont accompagnées à travers le réseau des cellules préfectorales.

C’est bien, mais nous ne pouvons nous en satisfaire. Nous ne pouvons pas ignorer cette évolution lente, complexe, qu’ont décrite Gilles KEPEL dans Terreur dans l’hexagone, genèse du djihad français (2015), ou, plus récemment, et dans un autre registre, Ariane CHEMIN et Raphaëlle BACQUé dans La communauté (2017). Nous ne pouvons pas ignorer, Jean-Michel BLANQUER le sait bien, le cri d’alarme lancé par Bernard RAVET, cet ancien principal de collège de Marseille (Principal de collège ou imam de la République, 2017), un cri d’alarme dans lequel pourraient malheureusement se reconnaître d’autres principaux de collège, ici, à Lille, et dans d’autres grandes villes. Cette radicalisation islamiste menace notre société. Non pas seulement quand elle conduit à la violence. Elle nous défie, en vérité, à chaque fois que les lois de la République sont mises en balance avec des préceptes religieux, lorsque certains n’acceptent de se conformer aux premières que si elles sont compatibles avec les seconds.

A chaque fois qu’à l’école, le statut de la connaissance se voit opposer la revendication de la croyance. A chaque fois que, dans l’espace public, il est porté atteinte aux « exigences minimales de la vie en société » dont, dès 2010, le Conseil constitutionnel a reconnu au législateur la légitimité d’assurer la protection. A chaque fois qu’une femme se trouve, volontairement ou non, « placée dans une situation d’exclusion et d’infériorité manifestement incompatible avec les principes constitutionnels de liberté et d’égalité ».

C’est cette approche large de la radicalisation que nous avons voulu retenir en préparant ce plan national de prévention de la radicalisation et ses soixante mesures. Il balaie, à dessein, de larges champs : l’école, l’université, le sport, l’entreprise, les services publics aussi.

Je voudrais ce matin insister plus particulièrement sur trois aspects. Le premier concerne l’école et la jeunesse.

Vous connaissez l’étymologie du mot « pédagogie » : c’est la conduite des enfants vers l’âge adulte, vers l’autonomie de la décision et la responsabilité qui l’accompagne : pouvoir se déterminer par soi-même, et savoir répondre de ses décisions. Cette exigence de formation du libre-arbitre doit conduire à rejeter tous les obscurantismes, tous les refus de savoir et de comprendre.

Dans la société d’information surabondante qui est la nôtre, où les réseaux sociaux véhiculent non seulement des informations mais des rumeurs et des mensonges, l’apprentissage du libre-arbitre et du discernement revêt une dimension nouvelle et essentielle : celle de la formation aux médias et à l’information. Plus que jamais, il faut savoir trier, analyser, hiérarchiser, pour distinguer ce qui relève de la connaissance et ce qui n’en relève pas.

C’est la raison pour laquelle, avec Jean-Michel BLANQUER, nous allons systématiser l’éducation aux médias et à l’information, qui permet aux élèves de se prémunir, en particulier contre les théories complotistes. Nous développerons notamment les outils pédagogiques mis à disposition des personnels.

Nous savons aussi que tout ne se joue pas, tant s’en faut, dans l’école de la République, mais, de plus en plus, dans l’enseignement privé hors contrat. Avec 74 000 élèves à la rentrée 2017, cet enseignement ne représente qu’une part très limitée des 12 millions d’élèves que compte notre pays, mais elle est en forte progression, qu’il s’agisse du nombre d’élèves ou du nombre d’établissements : 150 ouvertures en 2017, contre une trentaine par an il y a encore 5 ans. Ces établissements sont actuellement soumis à trois régimes déclaratifs distincts, résultant de lois datant de 1850 pour la plus ancienne, et de 1919 pour la plus récente. On y parle encore « de l’hygiène et des bonnes mœurs ».

Le Gouvernement a fait le choix de ne pas se diriger vers un régime d’autorisation, qui aurait été inutilement pénalisant pour le plus grand nombre de ces écoles ; en revanche, une unification des trois régimes déclaratifs, assortie d’un allongement du délai, nous donnera les moyens d’un meilleur contrôle de ces écoles. C’est l’objectif que poursuit la proposition de loi de Françoise GATEL, Sénatrice d’Ille-et-Vilaine, proposition qui a été adoptée avant-hier par le Sénat et dont je souhaite qu’elle puisse aboutir rapidement.

Pour accompagner cette réforme, le ministère de l’éducation nationale spécialisera, à partir de la rentrée 2018, des équipes d’inspecteurs, et harmonisera les pratiques en matière de contrôle des établissements privés hors contrat.

Nous savons, enfin, qu’Internet et les réseaux sociaux jouent auprès de la jeunesse un rôle viral, qui ne crée pas la radicalisation, mais la démultiplie. Le Secrétaire d’Etat chargé du numérique Mounir MAHJOUBI y est particulièrement attentif.

Depuis l’été, le Président de la République et le Premier ministre britannique Theresa May mobilisent donc la communauté internationale pour obtenir des acteurs d’internet qu’ils retirent en une heure les contenus illicites. Si les plateformes ne coopèrent pas volontairement dans les trois mois qui viennent, la France soutiendra à Bruxelles une initiative législative européenne. Car l’enjeu est évidemment européen, et la France appuie la finalisation par Europol de la base de données européenne des contenus illicites.

La deuxième série de mesures que je souhaite souligner concerne les services publics et l’administration. L’Etat, en tant qu’employeur, n’est pas épargné par la radicalisation. Or ses missions lui confèrent une responsabilité particulière.

Je signerai, dans les tout prochains jours, deux importants décrets d’application de la loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme. Ces décrets prévoient les conditions dans lesquelles on pourra écarter de leurs fonctions un militaire ou un fonctionnaire qui participe à l’exercice de missions de souveraineté de l’Etat, ou relevant du domaine de la sécurité ou de la défense, et dont le comportement serait devenu incompatible avec l’exercice de ses fonctions.

Il sera désormais possible de tirer les conséquences d’un processus de radicalisation qui serait intervenu après l’entrée en fonctions, dans le respect des garanties accordées aux agents publics.

Nous devons aussi élargir notre réflexion, et envisager de pouvoir écarter de ses fonctions un agent en contact avec des publics sur lesquels il est susceptible d’avoir une influence, et dont le comportement porte atteinte aux obligations de neutralité, de respect du principe de laïcité, voire comporte des risques d’engagement dans un processus de radicalisation. Une réflexion, portée par le ministre de l’action et des comptes publics Gérald DARMANIN, en lien avec les principaux ministères concernés, doit se traduire par des propositions au cours du premier semestre de cette année.

Enfin, il est un point particulièrement délicat : c’est celui de la « déradicalisation ». Je trouve ce terme d’ailleurs peu approprié. Nul ne dispose d’une formule magique de « déradicalisation », au sens où l’on pourrait « déprogrammer » un logiciel dangereux. Mais il existe, en France et ailleurs, des bonnes pratiques de prévention et de désengagement.
Le premier enjeu de réinsertion concerne les mineurs qui reviennent du Levant. 68 sont rentrés dont la quasi-totalité a moins de 13 ans et les trois quarts moins de 8 ans. Leurs situations seront examinées au cas par cas. Mais, pour tous, nous voulons assurer une prise en charge au long cours, et notamment un suivi psychologique, pour favoriser leur réinsertion. J’ai signé ce matin la circulaire qui précise le cadre et les modalités de leur prise en charge.

La Garde des Sceaux Nicole BELLOUBET travaille aussi, dans le cadre du plan pénitentiaire, à la prise en charge des personnes radicalisées, notamment celles qui reviennent de Syrie et d’Irak.

  • 1 500 places vont être créées dans des quartiers étanches, exclusivement dévolus aux détenus radicalisés, dont 450 d’ici la fin de l’année.
  • Le doublement des capacités d’évaluation est prévu en 2018 avec l’ouverture de 3 nouveaux quartiers d’évaluation de la radicalisation, en dehors de l’Ile-de-France : en tout, il en existera donc 6 dont un pour les détenus de droit commun radicalisés. 250 détenus pourront être évalués chaque année.
  • Au total, 78 établissements accueilleront des détenus radicalisés, avec un personnel spécifiquement formé. Ils présenteront un niveau de sécurité élevé.
  • Les profils particulièrement dangereux seront détenus dans des « quartiers pour détenus violents » qui garantiront une étanchéité totale. Il en existe déjà un à Lille-Annoeullin et nous en créons deux autres.

Enfin, le centre de réinsertion de Pontourny a constitué une expérience de troisième voie, en complément du milieu ouvert et du milieu carcéral. Le Gouvernement a pris acte de son échec, en décidant cet été la fermeture d’un centre vide depuis plusieurs mois.
Un autre dispositif, individualisé et pour des personnes sous-main de justice, a été expérimenté en Ile-de-France depuis plus d’un an : c’est le dispositif dit « Rive » qui comporte un suivi socio-éducatif et un référent cultuel. Il rejoint la prise en charge expérimentée à Aarhus, au Danemark, et nous semble prometteur. Trois centres de jour assurant une prise en charge individualisée et pluridisciplinaire seront expérimentés progressivement à Marseille, à Lyon et à Lille pour des publics radicalisés placés sous-main de justice.

Avant de laisser les ministres répondre à vos questions, je terminerai cette présentation en rappelant ce qui, pour beaucoup d’entre nous, est une évidence. Si l’Etat se mobilise dans ce combat, il ne peut le mener seul. Ce plan est un plan de mobilisation.
Mobilisation des préfets, sous l’autorité de Gérard COLLOMB, qui a présidé ce matin un groupe d’évaluation départemental.

Mobilisation des collectivités territoriales. Nous poursuivrons notre dialogue avec les grandes associations d’élus pour déterminer les modalités les plus adaptées à l’amélioration du dispositif d’information. Il faudra exploiter le droit existant pour renforcer et sécuriser l’échange d’informations. Nous allons aussi élaborer un cadre de formation, à décliner au niveau territorial, pour appuyer les élus locaux dans la sensibilisation. Enfin, j’ai confirmé à Jacques MEZARD l’objectif de compléter d’ici à juin prochain tous les contrats de ville par un plan de prévention de la radicalisation.

Mobilisation du monde du sport, où il nous faut développer une culture commune de vigilance. C’est le sens des mesures portées par Laura FLESSEL, qui s’appuiera sur les référents « radicalisation » du ministère des sports, pour sensibiliser les cadres techniques des fédérations.

Mobilisation de la recherche, avec l’appui de Frédérique VIDAL. Parce que la menace se transforme, comprendre est un préalable indispensable à l’action. Nous allons soutenir la mise en place d’un réseau associant les cellules de prospective des ministères des affaires étrangères des principaux pays concernés par la radicalisation. Je réunirai au printemps un conseil scientifique piloté par l’Institut national des hautes études de sécurité et de justice pour définir les axes de recherche prioritaires. Les chercheurs auront aussi accès à certaines informations extraites du fichier des personnes signalées (FSPRT). La procédure sera évidemment sécurisée et respectera le droit des personnes ainsi que la confidentialité des données opérationnelles.

Enfin, la ministre des Solidarités et de la Santé Agnès BUZYN organisera à l’automne des états généraux de la recherche et de la clinique en psychologie psychiatrique sur la radicalisation.

Mobilisation de la société civile, et de tous les acteurs qui peuvent porter ce qu’on appelle le « contre discours » : pour déconstruire les discours de haine, c’est la société civile qui détient la gamme de moyens la plus variée puisqu’elle peut jouer des registres artistique, humoristique et intellectuel. Cet après-midi se joue par exemple à Lille la tragi-comédie Djihad d’Ismael Saïdi qui se définit comme un « musulman d’ici ».

Cette énumération l’illustre : l’Etat ne peut mener seul ce combat. Il ne peut en particulier le mener sans les musulmans de France. C’est d’ailleurs ce que rappelait le Président de la République, en juin dernier à l’occasion de la rupture du jeûne, en insistant sur les combats que nous devons mener ensemble : le combat contre le fanatisme et sa diffusion, le combat contre une pratique de l’islam organisant la ségrégation au sein de la République. Lutter contre la radicalisation islamiste, c’est lutter contre ceux qui veulent faire croire que l’islam ne serait pas compatible avec la République.

Mesdames et Messieurs,

Si l’emprise territoriale de Daech recule chaque jour en Syrie et en Irak, grâce à l’action de la coalition internationale et de nos armées dont je salue, Madame la Ministre, l’engagement, une menace endogène demeure sur notre territoire, sur ces « frontières intérieures » dont je parlais au début de mon propos. La loi du 30 octobre 2017 nous donne les moyens d’un renforcement durable de notre protection, mais nous devons aussi prévenir la radicalisation, et c’est l’ambition de ce plan. Prévenir pour protéger.
 
Discours de M. Edouard PHILIPPE, Premier ministre – Présentation du plan national de prévention de la radicalisation – 23.02.201

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