Discours d’ Édouard Philippe, Premier ministre, à Châlus

Discours de M. Edouard PHILIPPE, Premier ministre à Châlus, vendredi 13 octobre 2017

Seul le prononcé fait foi

Madame la ministre,
Monsieur le maire,
Mesdames et messieurs les élus,
Mesdames et messieurs les présidents,
Mesdames et messieurs les professionnels de santé,
Mesdames et messieurs,

Je voudrais tout d’abord vous remercier pour votre accueil chaleureux. L’honnêteté me commande de vous dire que lorsque j’ai su que nous nous rencontrerions aujourd’hui à Châlus, mon coeur de Normand a frémi, puisque c’est ici même que Richard Coeur de Lion fut mortellement blessé par un trait d’arbalète. Vous me direz que c’était en 1199, et qu’il y a prescription. En tout cas je suis heureux d’avoir été accueilli beaucoup plus pacifiquement (ce n’est pas toujours le cas lorsqu’on est Premier ministre et que l’on fait des réformes).

Et surtout, je suis heureux du débat que nous venons d’avoir avec la ministre des Solidarités et de la Santé, Agnes Buzyn. Il témoigne d’une intelligence collective en mouvement, riche dans ses propositions, efficace dans ses actions. C’est de tout cela que l’action publique doit se nourrir. C’est en puisant dans les initiatives comme la vôtre, ici à Châlus, que l’Etat pourra construire des politiques pertinentes en partenariat avec les territoires.

J’ai voulu venir aujourd’hui avec la ministre parler de santé et d’accès aux soins car je sais que c’est une préoccupation majeure de nos concitoyens dans leur vie quotidienne.

Madame Corinne Hardy, Docteur Patrick Dary et Docteur Jean-François Paziault, je tiens vraiment à vous remercier car vous avez partagé avec générosité vos convictions et vos expériences. C’est grâce à des personnes comme vous, grâce à un maire comme Monsieur Alain Brezaudy, et grâce à toute une communauté d’élus et de professionnels de santé que j’ai pu voir ce matin une maison de santé qui fonctionne bien, et qui permet aux Châlusiens et à leurs voisins hauts-viennois de pouvoir se faire soigner sans subir plusieurs mois d’attente, et risquer une dégradation de leur état de santé.

Ici, à Châlus, vous avez réussi à inverser le cours des choses, vous avez refusé de devenir, ou de rester, ce que certains appellent un désert médical, et vous avez réussi.

C’est une bonne nouvelle pour tous ceux qui sont toujours cernés par les bancs de sable, et qui, au fil des ans, se sont sentis isolés, puis abandonnés, et à juste titre. C’est d’ailleurs le sens premier du mot « désert » : un lieu abandonné de tous. La réalité, c’est qu’il y a d’abord des gens, des personnes qui sont malades, des personnes qui souffrent, des personnes inquiètes de ne pas pouvoir consulter un médecin, inquiètes pour elles-mêmes, mais aussi pour leurs enfants, pour leurs parents âgés … Ces situations sont d’autant plus douloureuses et insupportables que s’y ajoute un sentiment d’impuissance. Comment dans ces conditions, ne pas sentir abandonné par la puissance publique ?

La République doit garantir un égal accès aux soins à ses citoyens, où qu’ils habitent en France. La situation actuelle constitue donc une véritable rupture d’égalité pour celles et ceux, qui, parce qu’ils ont simplement la malchance de vivre au mauvais endroit, ne peuvent pas accéder rapidement à des soins médicaux.

Au-delà des professionnels de santé, c’est à tous ces Français que je veux m’adresser aujourd’hui, pour leur dire que nous connaissons leur situation, que nous en mesurons la difficulté, et que nous allons tout faire pour y remédier.

I- Les racines du mal, nous ne les connaissons malheureusement que trop bien. Il y en a 2 pour l’essentiel.

Premièrement, si le nombre de médecins formés chaque année ne diminue pas, en revanche, il y a de moins en moins de médecins généralistes, du fait du nombre important de départ en retraite qui ne peuvent être tous remplacés.

Deuxièmement, on constate une désaffection pour l’exercice de la médecine libérale, qui exige de travailler seul(e), d’être très disponible, et d’effectuer des semaines de 60 à 70 heures, or les nouvelles générations veulent, et c’est bien compréhensible, un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie privée. Elles choisissent de plus en plus l’hôpital en début de carrière, et si elles optent pour le libéral, le choix du lieu d’exercice est déterminé par l’activité du conjoint, la qualité du cadre de vie ou les possibilités d’études pour les enfants. Or les territoires en difficulté, pas toujours mais bien souvent, sont malheureusement souvent mal lotis de ce point de vue, ce qui entretient un cercle vicieux.

Comme je le disais, ce diagnostic n’est pas nouveau, et différentes mesures ont été prises par les gouvernements précédents, mais cela n’a pas suffi à renverser la tendance, ni même à l’enrayer.

Alors qu’allons-nous faire ? Eh bien, nous allons adopter une méthode simple : amplifier les mesures qui fonctionnent et lever méthodiquement tous les obstacles qui empêchent les acteurs de mettre en place des solutions adaptées à leur territoire.. Sur un sujet aussi difficile, il serait malvenu de prétendre que nous détenons la solution idéale. En revanche, nous sommes déterminés à agir, à faire sauter les verrous, à innover, à expérimenter sans tabou, avec un seul objectif : améliorer l’accès aux soins pour tous.

Un mot sur le débat qui revient régulièrement entre mesures incitatives et mesures coercitives. Clairement, pour nous, ce débat n’a plus lieu d’être. Dans tous les pays européens qui l’ont tentée, la voie coercitive a été un échec, parce qu’elle conduit chaque fois à des systèmes de contournement. C’est pourquoi nous voulons privilégier l’incitation.

Alors je comprends que, pour les maires de communes rurales notamment, ce choix puisse être mal compris. Certains m’ont dit : « Mais après tout, c’est l’Etat qui paie la formation des médecins à l’hôpital. Alors pourquoi ne pas les forcer à s’installer là où sont les besoins ? » Je ne crois pas à ce type de méthode. Elle ne correspond pas à la vision que je porte de notre société et de ses équilibres. Je crois à la liberté. Je l’ai dit le jour de ma nomination comme Premier ministre. C’est dans mon ADN. Je crois aussi à la responsabilité et à l’engagement. C’est sur cette base qu’il faut avancer.

Si nous voulons améliorer l’accès aux soins, nous devons le faire en bonne intelligence avec les professionnels de santé, qui sont les plus à même de proposer des solutions efficaces. C’est donc dans cet esprit que nous avons travaillé, et c’est cette approche qui irrigue le plan que je suis venu vous présenter aujourd’hui.

II- L’ambition de ce plan est de permettre l’égal accès aux soins dans les territoires, et je veux souligner qu’il ne s’agit pas d’un simple catalogue de mesures. Nous l’avons construit autour de 3 axes forts : plus de coopération, plus d’innovation, et plus d’incitation.

1. Premier axe : nous allons encourager plus encore la coopération entre les professionnels de santé.

Concrètement, et conformément aux engagements de campagne du président de la République, cela va d’abord se traduire par le doublement des Maisons médicales.

Dans le cadre du grand plan d’investissement, nous avons prévu d’investir 400 millions d’euros pour construire 1000 maisons et centres de santés supplémentaires d’ici 5 ans.

Nous allons également augmenter le nombre de maisons de santé bénéficiant des rémunérations non plus seulement individuelles mais par équipe, de l’ordre de 40 000 à 60 000 euros par an en moyenne. A terme, l’objectif est que la totalité des maisons en bénéficient. Cela représente un investissement de l’Assurance maladie qui va progressivement monter en charge pour atteindre 90 millions d’euros par an d’ici 5 ans.

Ces structures, qui permettent de se regrouper pour travailler, sont bénéfiques pour tous. Les professionnels de santé se sentent moins seuls dans l’exercice de leur pratique, ils peuvent échanger avec leurs pairs, et de leur côté, les patients bénéficient d’un meilleur suivi.

Concrètement, vous vivez à Châlus, vous êtes retraité, et vous sentez que vous avez des pertes d’équilibre. Vous pouvez venir consulter à la maison de santé, et pour prévenir les risques de chute, votre médecin traitant vous prescrit des séances de rééducation chez un masseur kinésithérapeute qui fait partie de la même maison de santé. Vous gagnez du temps, votre rendez-vous peut être pris directement par votre médecin, qui sera par ailleurs informé régulièrement de votre état de santé grâce aux échanges au sein de la maison.

C’est ce qui fonctionne très bien ici, à Châlus, et dans des centaines d’autres maisons et centres de santé présents en France. Pour autant, les maisons de santé ne sont pas une panacée, leur succès dépend d’un équilibre subtil lié à chaque situation locale. Je pense par exemple à la petite ville d’Avanton qui a fait parler d’elle dans les journaux cet été. Le hasard veut qu’elle se situe dans la Vienne, à 250 kilomètres à peine d’ici. La municipalité y a construit une maison de santé flambant neuve ; deux infirmiers et une ostéopathe y sont installés. Mais depuis bientôt huit mois, les pièces réservées aux deux médecins sont toujours vides. Les murs ont été construits : mais sans projet médical.

En revanche, vous savez, vous à Châlus, ce qui a permis de faire de votre maison de santé un projet réussi : c’est la mobilisation de tous les professionnels de santé concernés et de tous les élus locaux autour d’un projet partagé. Et cela, cela ne se décrète pas. Il faut donc bien sûr développer les maisons de santé, c’est une excellente solution qui dans bien des cas, apporte une réponse efficace, et c’est pour cela que nous voulons doubler leur nombre. Mais cela ne marche pas systématiquement. C’est pourquoi nous avons prévu d’autres mesures d’accompagnement.

Toujours dans cette logique de renforcement de la coopération entre professionnels, nous allons ainsi pérenniser le dispositif ASALEE, qui permet aux infirmiers et aux infirmières de prendre en charge des maladies chroniques, en lien avec le médecin traitant.

Nous allons également développer ce qu’on appelle les pratiques avancées, qui permettent à des professionnels d’exercer au-delà de leur champ d’exercice initial, en leur donnant accès à des formations et en leur facilitant l’acquisition de nouvelles compétences. La ministre des Solidarités et de la Santé, Agnès Buzyn, le fera en lien avec la ministre de l’Enseignement supérieur, Frédérique Vidal, et bien sûr en concertation avec l’ensemble des professions concernées.

2. Deuxième axe fort de notre plan: l’innovation

Comme je l’ai dit, nous sommes un gouvernement pragmatique. Nous sommes prêts à expérimenter pour identifier toutes les meilleures solutions.

Première mesure : nous allons créer 300 postes de médecins partagés entre médecine de ville et pratique hospitalière.

Dès 2018, les Agences Régionales de Santé pourront proposer ces nouveaux contrats aux jeunes diplômés. Ils permettront un exercice partagé pour partie salarié à l’hôpital, et pour partie libéral, dans les territoires en déficit d’offres de soins.

Depuis près de 60 ans, nous vivons sur un modèle de cloisonnement étanche entre l’hôpital et la médecine de ville. Il faut le faire évoluer, si nous voulons répondre aux besoins des jeunes médecins d’aujourd’hui.

Concrètement, comment cela va se passer ? Vous tenez une épicerie, les derniers mois n’ont pas été bons, votre activité vous cause des soucis, et plusieurs fois par jour, votre rythme cardiaque s’accélère de manière totalement anormale. Vous voulez faire un examen de contrôle. Vous allez pouvoir prendre rendez-vous dans votre maison de santé habituelle, grâce à la présence d’un cardiologue hospitalier, qui effectue des consultations une journée par semaine. Vous n’aurez ainsi pas besoin de vous déplacer à l’hôpital ni pour le premier examen, ni pour le suivi. En cas de nécessité, le cardiologue pourra en revanche facilement organiser votre prise en charge à l’hôpital, dans le service où il travaille.

Deuxième mesure qui repose sur l’innovation : le développement de la télémédecine.
L’évolution technologique permet désormais, dans certain cas, la consultation d’un médecin à distance dans d’excellentes conditions ce qui ouvre des perspectives immenses en matière d’organisation, et pour les patients.

Concrètement, lors d’une consultation physique, si par exemple le médecin traitant a des doutes sur le caractère cancérigène d’un grain de beauté, il va pouvoir solliciter sans attendre l’avis d’un dermatologue. Via un système de messagerie sécurisé, il posera directement sa question, accompagnée d’une photo, et il aura la réponse dans les 24h, ce qui permettra au patient d’avoir un diagnostic rapide.

Aujourd’hui, la télémédecine est confrontée à deux blocages : la fiabilité aléatoire de la connexion internet selon les territoires, et l’absence de tarification codifiée pour ce type de consultation.

Concernant le premier point, le président de la République s’est engagé à accélérer la couverture intégrale du territoire en haut débit pour qu’elle soit effective dès 2020. Concernant le deuxième point, nous allons inscrire la télémédecine dans le droit commun dès 2018, ce qui permettra, après négociation, d’établir un tarif de consultation à distance, et donc de rémunérer les professionnels de santé pratiquant ce type de consultations.

La télémédecine viendra ainsi compléter l’offre de consultation en cabinets des médecins, et permettra également de s’assurer du suivi d’un traitement, ou de faciliter le partage d’informations et d’avis entre professionnels de santé.

Les crédits du fonds d’intervention régional destinés au développement de la télémédecine seront doublés dès 2018 pour passer à 18 millions d’euros. D’ici 2020, tous les EHPAD, et plus largement, tous les territoires en difficulté, seront équipés d’un matériel de téléconsultation. Dans les EHPAD, cela permettra notamment d’éviter les hospitalisations inutiles et d’améliorer la qualité du suivi des résidents.

3. Troisième axe, l’incitation, avec 2 grandes mesures : la simplification administrative d’une part, et le renforcement des incitations financières d’autre part.

Afin d’inciter les professionnels de santé à s’installer à leur compte, nous allons tout d’abord simplifier leurs démarches administratives. De nombreux services ont déjà été développés par les Agences régionales de santé, l’Assurance maladie et leurs partenaires. Nous allons maintenant les décliner de manière plus systématique dans toutes les régions, les coordonner et, surtout, en simplifier l’accès grâce à la création d’un point d’accès unique.

Ce guichet unique à destination des professionnels de santé va permettre de transférer du temps administratif vers du temps médical, au bénéfice des patients, dès le début 2018. En parallèle, une mission de simplification a été confiée à l’IGAS, qui a pour objectif d’alléger la charge administrative des professionnels de santé.

Outre ces actions de simplification, nous allons prendre des mesures incitatives à caractère financier. 200 millions d’euros sur 5 ans seront consacrés au déploiement des aides conventionnelles, afin d’aider à l’installation et à l’exercice des médecins dans les territoires où l’offre de soins est insuffisante. En parallèle, le nombre de zones éligibles à cette aide sera élargi, et passera de 7% à 18% du territoire. Cela veut dire que nous allons plus que doubler les zones concernées, et nous le faisons pour une raison simple : il faut anticiper, et agir le plus tôt possible sur les zones fragiles pour attirer et consolider la présence de professionnels de santé.

Nous allons également inciter les médecins généralistes proches de la retraite ou déjà en retraite à rester partiellement en activité, en leur permettant de cumuler plus facilement ces revenus avec leur pension. Je sais que c’est une demande forte des professionnels, et l’on a besoin qu’ils prolongent leur activité. Tout le monde y gagnera.

Enfin, nous créerons 500 nouveaux lieux de stages en dehors de l’hôpital, grâce à de nouvelles incitations pour les formateurs, et pour les étudiants qui seront mieux défrayés de leurs déplacements.

Il y a bien sûr encore beaucoup d’autres mesures prévues dans ce plan, mais voilà pour l’essentiel de ce que je voulais partager avec vous aujourd’hui.

III- Dernier point, en termes de méthode, je voudrais souligner que là encore, nous avons fait le choix de l’autonomie des acteurs locaux.

Notre « Plan pour l’égal accès aux soins dans les territoires » est par nature un plan qui doit s’adapter aux spécificités géographiques, démographiques et de santé de chaque région, de chaque localité. Il ne saurait être question de décliner des mesures identiques partout en France, mais au contraire, d’encourager des solutions sur mesure.

C’est pourquoi nous nous appuierons fortement sur les Agences Régionales de Santé pour mettre en oeuvre ce plan au plus près des réalités de chaque territoire. Au-delà de ces structures, nous invitons tous les élus et tous les professionnels de santé à contribuer, et construire un projet local partagé.

Afin d’enclencher cette dynamique, en plus des mesures déjà citées sur l’aide à l’investissement pour les maisons de santé et la télémédecine, les ARS disposeront de 10 millions de crédits supplémentaires dès 2018, soit plus qu’un doublement par rapport au budget actuel. Car l’un des éléments-clés de la réussite de ce plan réside dans la mobilisation des acteurs locaux, et leur appropriation des outils et des moyens mis à leur disposition par l’Etat.

Deux parlementaires, Madame Elisabeth Doineau, sénatrice de la Mayenne, et Monsieur Thomas Mesnier, député de la Charente, et le Docteur Sophie Augros seront chargés d’assurer le suivi du plan. Ils sont d’ailleurs parmi nous, et j’en profite pour les saluer. En fonction de leur retour, nous adapterons au fur et à mesure le plan, en le modifiant ou en le renforçant autant que nécessaire.

Mesdames et messieurs,

Faire reculer les déserts médicaux, garantir un égal accès aux soins à tous les citoyens, ce sont des questions très sérieuses. Pour autant, j’aimerais si vous me le permettez, rendre hommage à un enfant du pays, un enfant de Châlus, je veux parler de Pierre Desproges. Humoriste de grand talent, Pierre Desproges était également un subtil analyste des passions humaines. Il disait, je cite, « Si l’union fait la force, la force n’a jamais fait l’intelligence. »

J’aime beaucoup cette maxime, et surtout, j’aime à penser que ce gouvernement l’a faite sienne : unis, nous le sommes, mais pour le reste, nous ne comptons pas sur la force. Nous comptons sur l’initiative locale et sur l’intelligence collective pour imaginer de nouvelles solutions. Nous faisons confiance aux élus et aux professionnels de leur secteur pour construire le meilleur projet pour leur territoire.
Discours d’ Édouard Philippe, Premier ministre, à Châlus

Author: Redaction