Discours à l’occasion de la visite du centre d’hébergement d’urgence Emmaüs Louvel-Tessier

Seul le prononcé fait foi.

Mesdames les ministres,
Monsieur le Préfet,
Madame la Maire,
Monsieur les présidents,
Messieurs les directeurs,
Mesdames, Messieurs,

La période des fêtes de Noël est attendue par beaucoup de Français, mais elle est aussi redoutée par ceux qui ne savent pas où dormir ni comment se protéger du froid en hiver.

Disposer d’un toit, pouvoir se mettre à l’abri : c’est pourtant là un droit fondamental pour chacun des habitants de ce pays ; c’est une condition pour que la République tienne sa promesse d’égalité ; et c’est une exigence de fraternité.

C’est en ayant conscience de ce droit et de cette exigence que l’abbé Pierre a lancé son appel du 1er février 1954 et suscité la création de ce qu’il nommait alors des « centres fraternels du dépannage » ; des lieux où chacun devait lire ces simples mots : « Toi qui souffres, qui que tu sois, entre, dors, mange, reprends espoir, ici on t’aime. »

J’ai eu le sentiment de cette filiation, de cette continuité dans l’inspiration, en visitant ce matin ce Centre d’hébergement d’urgence Emmaüs Louvel-Tessier. Et je voudrais commencer par dire mon admiration à ceux qui l’animent, le font vivre et continuent, à l’exemple de l’abbé Pierre, à tendre une main fraternelle à ceux qui en ont tant besoin. Mon estime s’étend, bien entendu, à tous les acteurs et partenaires du service intégré d’accueil et d’orientation (SIAO) présents dans cette salle, comme aux responsables et militants associatifs qu’ils représentent.
Si j’ai souhaité effectuer l’un de mes tout premiers déplacements en tant que Premier Ministre dans un centre d’hébergement d’urgence comme celui-ci, et vous y rencontrer, c’est donc parce que je mesure l’importance du travail accompli par le secteur associatif dans ce pays, le professionnalisme et l’engagement de ses équipes. C’est là un fait qui vient contredire l’image superficielle, trop souvent répandue, d’une société française qui serait frappée d’anomie, gagnée par un individualisme forcené. Je crois au contraire qu’il existe dans notre pays d’immenses ressources de solidarité qui ne demandent qu’à s’exprimer.

Mais, si l’esprit de Noël a naturellement vocation à « ouvrir  les cœurs », lutter contre la pauvreté et la précarité, ce n’est pas seulement « avoir bon cœur » : c’est œuvrer pour la cohésion de la société et pour la dignité de l’Homme.

En effectuant cette visite, aux côtés d’Emmanuelle Cosse, de Ségolène Neuville et de la Maire de Paris, je veux donc affirmer avec solennité que la solidarité, cette valeur que la gauche a défendue tout au long de son histoire, demeurera au cœur des objectifs poursuivis par le Gouvernement. La question de l’hébergement d’urgence, et au-delà celles du logement, de l’accès aux soins, de la lutte contre la précarité, ne sont pas pour nous des causes accessoires, ni des phénomènes dont nous attendons qu’ils soient spontanément résolus par l’effet de la croissance économique. Elles engagent la responsabilité de l’Etat.

C’est pourquoi dès janvier 2013, Jean-Marc Ayrault avait lancé le Plan pluriannuel de lutte contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale, que Manuel Valls a poursuivi et dont il a renforcé la feuille de route en 2015.  Au cours des cinq mois à venir, je m’engage à faire en sorte que chacun des engagements pris soit tenus, que chacune des mesures conçues en vue de venir en aide aux plus fragiles soit mise en place.

Permettez-moi de commencer par faire le point avec vous sur le plan de mobilisation hivernale.
Nos territoires ont su répondre au plan dont la Ministre du Logement a récemment rappelé les priorités.

Pour nous engager convenablement dans cette période difficile pour les plus précaires, nous avons l’obligation de mener localement un travail permanent de concertation et de mobilisation des différents acteurs : avec les opérateurs associatifs bien sûr, mais également avec les communes et je salue  l’excellente coopération qui existe entre la Ville de Paris et l’Etat sur ce sujet qui présente ici une grande complexité. Partout, il s’agit d’ouvrir des places d’hébergement qui respectent la dignité de chacun, d’accompagner leurs occupants en procédant à une évaluation individuelle de la situation de chacun, et enfin de ne pas refermer les places une fois qu’elles ont été ouvertes.

A la suite du travail qui a été mené conformément à ces principes, près de 126 000 places d’hébergement ont été ouvertes pendant les premières semaines du Plan de mobilisation hivernale. Ce nombre représente une augmentation de 14 % par rapport à celui des places disponibles l’an passé à la même époque. En outre, le recours aux places exceptionnelles, par exemple dans des gymnases ou des salles des fêtes, est absolument marginal (moins de 1%).
La situation de l’Ile de France est bien sûr la plus difficile compte tenu du nombre de personnes qui doivent être hébergées. Pour répondre aux besoins, il faut puiser dans toutes les ressources de la Région et chercher des solutions au niveau national quand cela est possible.

Mais c’est sur une base permanente, et non pas seulement au cœur de l’hiver, que l’Etat doit s’efforcer de trouver des solutions d’hébergement dignes pour ceux qui en ont besoin.
Depuis 2012, le budget de l’hébergement n’a donc pas cessé d’augmenter : il est passé de 1 ,2 milliards à plus de 1,7 milliards pour 2017, soit une hausse de près de 42 % en cinq ans.

Sous le quinquennat de François Hollande, près de 10 000 places d’hébergement pérennes ont été créées chaque année, en moyenne, si bien que leur nombre total, qui était de moins de 80 000 en 2012, s’élève à 120 000 aujourd’hui. En outre, le nombre de logements adaptés a augmenté de 40% pour atteindre près de 220 000 places ; or ces logements sont à la base du processus d’insertion de ceux qui en bénéficient.

En 2017, les crédits correspondants seront encore en hausse de 15% par rapport à la Loi de finances pour 2016. Cet effort est nécessaire pour accroître, comme nous le voulons, les capacités des dispositifs d’hébergement et d’accès au logement, faire face à la crise migratoire et assurer un accès plus rapide à un logement durable pour les personnes aux faibles ressources ou en difficultés sociales.

Au cours de ces dernières années, davantage de personnes dans le besoin ont donc pu être mises à l’abri ; elles l’ont également été dans de meilleures conditions.

Depuis février 2015, nous nous sommes en effet efforcés de réduire le nombre des nuitées hôtelières de façon à offrir des conditions d’hébergements plus conformes aux besoins des individus et des familles en détresse.

Pour la période 2015-2017, nous avons prévu de réduire de 10 000 le nombre des hébergements en hôtel au profit de la création de 2 500 places d’hébergement d’urgence pour familles, 9 000 places en intermédiation locative et 1 500 places en pension de famille.

Un an et demi après le lancement de ce plan, les résultats se font déjà sentir. Plus de 6 000 places ont été créées dans l’hébergement généraliste et le logement adapté. En outre, un appel d’offre pour le rachat d’hôtels à des fins d’hébergement, actuellement en cours, devrait permettre de créer 5000 places supplémentaires, en convertissant des hôtels de tourisme.

Par ailleurs, le Fond national des aides à la pierre, qui gère dorénavant les subventions au logement social, inclut dans son budget la création de 1500 nouvelles places en pensions de famille pour 2017.

Enfin, nous avons pérennisé l’opération « un chez-soi d’abord»,  mise en œuvre par l’Etat depuis 2011.  Elle répond comme vous le savez aux besoins des personnes sans-abri qui souffrent de graves troubles psychiques et d’addiction et qui ont donc besoin d’un accompagnement renforcé.

J’ajoute que notre modèle d’accueil doit nous permettre de faire face aux situations d’urgence migratoire. Dans les fonctions que j’ai occupées précédemment, j’ai été conduit comme vous le savez à organiser la mise à l’abri des migrants de Calais ; je mesure toute la difficulté de cette politique. Nous devons en particulier rester mobilisés pour trouver une solution aux migrants mineurs, et je soutiens à ce sujet les déclarations du ministre de l’Intérieur.

Mais la crise migratoire n’a pas entraîné de concurrence entre les publics. J’insiste sur ce point car certains cherchent à les opposer, à dresser une pauvreté contre une autre. Nous avons veillé dans l’ensemble de nos réponses à spécialiser nos actions, à les adapter à la diversité des populations ayant besoin d’être hébergées, qu’il s’agisse des migrants ou des personnes précaires nées en France ou installées ici de plus longue date. Nous avons ainsi progressé en parallèle sur l’ensemble des fronts de la précarité.
La force de notre modèle d’accueil c’est qu’il nous permet de faire face aux situations d’urgence migratoire comme nous en avons connu, et comme nous en connaîtrons probablement encore, avec la mise à l’abri de tous ceux qui en ont besoin, où qu’ils soient sur notre territoire. Grâce aux efforts conjoints de l’Etat, des collectivités, des associations, nous avons su répondre à des besoins d’hébergement inédits et nous continuerons à le faire.

Mais l’hébergement d’urgence ne doit être qu’un passage vers une situation plus stable. C’est pourquoi d’importantes mesures ont aussi été prises depuis cinq ans pour faciliter l’accès de chacun à un logement durable et limiter le nombre des expulsions.

Il y a d’abord le logement social. Depuis 2012, près de 480 000 logements sociaux ont été financés, et il est naturel qu’ils bénéficient en priorité aux plus pauvres.

Il y a aussi toutes les formes de logement aidé : logements du parc privé en intermédiation locative, « solibail » ou « louez solidaire », pensions de familles, maison relais, colocation, résidences sociale… Toutes les solutions sont bonnes à prendre pour répondre à la diversité des situations et des besoins des personnes les plus fragiles.
Mais il faut aussi anticiper, agir en amont pour éviter que des individus ou des familles se retrouvent à la rue. La prévention de l’exclusion passe donc par la prévention des expulsions.

Au 31 mars de chaque année s’achève, comme vous le savez tous, la trêve hivernale qui protège l’ensemble des locataires contre toute expulsion locative.

Parce que les procédures d’expulsions sont complexes et que les mécanismes de prévention ne fonctionnaient pas toujours, des nouvelles mesures ont été prises afin d’éviter ces situations aux conséquences presque toujours dramatiques.
La loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové (ALUR) a ainsi prévu en particulier trois mesures majeures pour renforcer les mécanismes de prévention des expulsions.

Il s’agit d’abord du renforcement du rôle des Commissions de coordination des actions de prévention des expulsions (CCAPEX), qui permet de traiter les impayés de loyer en amont.

Ensuite la loi ALUR prévoit la mise en place de chartes des expulsions, qui permettront de simplifier les démarches de prévention.

Enfin, elle prévoit aussi le maintien des aides personnalisées au logement en cas d’impayés de loyers pour les allocataires de bonne foi.

La loi Egalite et Citoyenneté, qui vient d’être adoptée, apportera elle aussi d’importants progrès en ce domaine. Son dispositif est du reste conforme à plusieurs des propositions formulées dans le rapport que Mme Carlotti, présidente du haut Comité pour le logement des personnes défavorisées, a remis le 13 décembre dernier à Emmanuelle Cosse, sur la mise en œuvre du droit au logement opposable.

Cette loi permettra en effet de mieux défendre les intérêts des personnes en situation d’exclusion en élargissant la composition des commissions de médiation aux membres d’associations.

Elle conduira aussi à procéder à une évaluation sociale des personnes ayant recours au droit au logement opposable, avant de les réorienter éventuellement vers une solution d’hébergement d’urgence ou un logement transitoire.

En outre, les préfets, en leur qualité de garants de la solidarité nationale, reprendront la main sur les logements sociaux dont ils ont la responsabilité.

Cette loi permettra enfin de baisser les loyers des logements sociaux  pour y loger des ménages prioritaires.

Cette politique du logement s’inscrit donc dans les objectifs du Plan pluriannuel de Lutte contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale.

Car le combat contre la pauvreté doit être livré simultanément sur tous les fronts : santé, famille, éducation… Toutes les grandes politiques publiques doivent être mises à contribution pour faire reculer la précarité.

C’est tout le sens des actions que Ségolène Neuville porte avec constance et détermination depuis 2014.

La première de ces priorités, c’est la santé.

Grâce au Plan pluriannuel de lutte contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale, 1 million de personnes supplémentaires bénéficient d’une complémentaire santé gratuite, d’une aide à la complémentaire santé, et toutes bénéficient du tiers payant.

La généralisation du tiers payant, d’abord aux femmes enceintes et aux personnes souffrant d’une affection de longue durée au 1er janvier prochain, puis à tous les patients le 30 novembre 2017, portée par Marisol Touraine, sera un immense progrès pour tous. Je suis convaincu que cette mesure historique fera en particulier reculer phénomène inacceptable qui fait que bien souvent les personnes les plus pauvres, les plus fragiles,  renoncent aux soins auxquels elles pourraient avoir accès.

Les outils de notre politique familiale doivent eux aussi être mobilisés.

Comme nous l’avons annoncé dès 2013, nous poursuivrons la revalorisation de l’allocation de soutien familial destinée aux familles monoparentales, à un rythme de 25% sur 5 ans, ainsi que la revalorisation du complément familial pour les familles nombreuses les plus modestes de 50%.
Nous mettrons également en place de nouveaux services pour empêcher des familles entières de basculer dans la pauvreté : un réseau d’entraide pour les familles monoparentales, le plus souvent des femmes isolées, parfois en grande situation de précarité ; des crèches à vocation d’insertion professionnelle pour permettre aux parents sans emploi d’en rechercher un ; une agence de recouvrement des impayés de pension alimentaire.
La lutte contre la pauvreté passe aussi par l’éducation, notamment à travers l’effort engagé en faveur de la scolarisation des enfants de moins de 3 ans, en priorité dans les quartiers les plus pauvres.

Notre politique de prévention du surendettement y contribue également, en particulier à travers le développement de points conseil budget qui devront être consolidés en 2017.
Enfin, la précarité touche aussi les jeunes, en particulier lorsqu’ils sont sans emploi ni formation. La « garantie jeunes », ce parcours d’accompagnement vers la formation et l’emploi, sera généralisée au 1er janvier prochain et assortie d’une allocation de 460 €. C’est la vie de ces jeunes de moins de 25 ans qui va changer, car auparavant ils n’avaient droit à aucune aide.
Le Plan pluriannuel de lutte contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale a fait  enfin de l’accès aux droits et de l’accompagnement des personnes d’autres priorités d’action.
Ces priorités sont au cœur de la première étape de la réforme des minima sociaux qui sera mise en œuvre dès l’an prochain.  Elle reprend en effet l’ensemble des simplifications des minima sociaux proposées par le député Christophe Sirugue dans un rapport remis à mon prédécesseur le 18 avril dernier.

Dans ce cadre, le RSA, qui aura été revalorisé de 10% au terme du Plan, verra son calcul simplifié, de façon à réduire les indus et les rappels de prestation qui mettent parfois les bénéficiaires en difficulté. En outre, les démarches seront dématérialisées, sur le modèle de ce que nous avons fait pour la prime d’activité. Et la durée d’ouverture des droits à l’allocation pour les adultes handicapés sera portée à 20 ans pour les handicaps les plus lourds.
Mais il nous faut aussi mieux accompagner les personnes pour  leur faciliter l’accès aux prestations sociales. C’est essentiel pour qu’elles retrouvent pleinement leur place dans la société.

C’est pourquoi nous avons décidé la création du Fonds d’appui aux politiques d’insertion, financé à hauteur de 50 M€ pour 2017. Cette mesure permettra aux départements de renforcer leurs politiques d’insertion sociale et professionnelle. L’Etat s’appuiera sur ce dispositif pour améliorer sa capacité à évaluer ces politiques, faire progresser l’expertise et diffuser les bonnes pratiques.

En conclusion, je vous renouvelle mon engagement à poursuivre jusqu’au dernier jour une politique destinée à améliorer la situation des des plus fragiles de nos concitoyens.
Il s’agit tout simplement pour nous de demeurer fidèles aux valeurs de solidarité et de fraternité qui définissent notre conception de la République.

Je tiens à saluer de nouveau l’engagement des associations qui font de la France un pays où cette solidarité n’est pas un vain mot. Vous faites honneur à la République et l’Etat se doit de vous soutenir dans l’action que vous accomplissez jour après jour.

Car, comme il est écrit dans l’un des pages les plus fameuses des « Misérables » : « La vie, le malheur, l’isolement, l’abandon, la pauvreté, sont des champs de bataille qui ont leurs héros ; héros obscurs plus grands parfois que les héros illustres. »

Je vous remercie de votre attention.

Author: Redaction