Discours à Châlons-en-Champagne

Discours d’Édouard Philippe, Premier ministre à Châlons-en-Champagne
Jeudi 28 juin 2018

Seul le prononcé fait foi

Monsieur le Maire, cher Benoist,
Mesdames et Messieurs les parlementaires,
Mesdames et Messieurs les ministres et les ambassadeurs,
Mesdames et Messieurs.

Je suis très heureux d’être à Châlons-en-Champagne aujourd’hui, et je le suis pour beaucoup de raisons, la première d’entre elles, c’est d’abord, de retrouver monsieur le Maire de Châlons-en-Champagne, cher Benoist, c’est toujours un plaisir.

Nous avons siégé sur les mêmes bancs, à l’Assemblée nationale, nous avons oeuvré ensemble, nous avons partagé des combats politiques, et je suis heureux de partager une vieille amitié et solide amitié avec toi. Je suis heureux, pas seulement que ça me donne le plaisir de revenir, mais parce que je retrouve en t’écoutant prononcer ces quelques mots d’accueil et d’introduction, le plaisir très particulier et très intense qu’éprouvent les maires, et au fond, tous les responsables, quelle que soit la nature de leur responsabilité, mais peut-être singulièrement les maires, lorsqu’ils mettent en oeuvre quelque chose qu’ils ont pensé.

En septembre dernier, j’étais à Châlons-en-Champagne déjà et le Maire de Châlons-en-Champagne, Benoist APPARU, m’explique son projet : faire de cette ville, faire de cette agglomération, qui a une histoire très longue, s’agissant de l’agriculture, du commerce agricole, des échanges agricoles, en faire le point central d’une réflexion indispensable, mais qui n’est pas toujours bien formalisée.

Et lui, dans son bureau de dérouler le projet, à six mois, un an, à trois ans, à cinq ans, à dix ans, et je suis bien persuadé que quelqu’un d’autre que moi qui l’aurait écouté se serait dit : ça me semble très ambitieux, et on verra, c’est un peu conceptuel, c’est un peu intellectuel, est-ce-que vraiment ça va marcher. Et ce que je constate aujourd’hui, c’est que cette ligne, cette organisation, cette intuition que ce sujet était à la fois un sujet global pour la planète tout entière, et qu’il pouvait se concrétiser ici, est en train de devenir une réalité.

Et tous ceux qui exercent des responsabilités savent combien le moment où on passe de l’idée à la traduction concrète, est un moment purement jouissif. Et donc je suis très heureux d’être ici et de voir que ce que vous avez, car je ne ferai pas l’injure à Benoist en disant qu’il ne l’a pas imaginée tout seul, et qu’il ne l’a certainement pas mise en oeuvre tout seul, comme toutes les grandes actions et toutes les grandes aventures, c’est une aventure collective. Mais cette aventure collective, elle est en train de prendre pied, elle est en train de se dérouler, et c’est remarquable.

La troisième raison pour laquelle je suis heureux d’être ici, c’est que, pour aborder cette question de l’agriculture, je vais partir de la culture, je suis obligé de m’exprimer ici avec une forme d’humilité liée au fait que vous êtes, pour la très grande majorité d’entre vous, des experts de ces questions agricoles. Soit, parce que vous pratiquez, soit parce que vous organisez, soit parce que vous commercez, soit parce que vous réfléchissez, mais à tous égards, quelle que soit la nature de votre expertise, vous avez une légitimité très forte à vous exprimer sur ces sujets. C’est moins mon cas, non pas que je me désintéresse du sujet, il me passionne, mais je ne peux pas me prévaloir de la légitimité qui serait celle de l’agriculteur, non plus d’ailleurs celle de celui qui aurait géré tel ou tel aspect du développement commercial d’une entreprise particulière ou particulièrement dynamique dans le monde de l’agriculture.

En revanche, si je ne suis pas agriculteur, je suis lecteur, et une bonne façon d’aller dans le sens de ce à quoi nous invite Benoist APPARU, et qui est au fond, une réflexion, une confrontation, une forme de réflexion féconde, parce que justement, on va confronter des avis différents des expériences, des points de vue différents, c’est la lecture.

Et je voudrais commencer mon propos en renvoyant à un livre que j’ai souvent l’occasion de citer, et après tout, c’est très bien, car c’est un livre assez central et assez merveilleux, même si, à bien des égards, il peut paraître préoccupant à certains, voire même angoissant, c’est un livre dont le titre français est « Effondrement ». Bien souvent, les gens qui réfléchissent à l’environnement, à l’évolution de nos ressources et à la façon dont nous les utilisons, évoquent ce livre ou citent ce livre comme un des livres qui leur a ouvert les yeux ou qui leur a permis de mettre en perspective une intuition qu’ils s’étaient faite. Parce que ce livre, au fond, raconte, décrit, analyse des cas qui se sont passés partout sur la planète, à tout temps dans l’histoire, où des sociétés ont été confrontées au risque de l’effondrement ou à la réalité de l’effondrement, parce qu’elles prenaient mal en compte leur environnement.

Alors, leur environnement d’ailleurs, ce n‘était pas simplement l’utilisation des ressources naturelles, ça pouvait être leurs relations commerciales avec leurs voisins, c’était leur environnement au sens global. Et ces sociétés de l’île de Pâques au Japon, de la période Edo, ces sociétés, confrontées à ces risques, confrontées à l’éventuelle surutilisation de leurs ressources naturelles, confrontées à des choix par exemple agricoles qui n’étaient pas tenables ou à des choix d’aménagement ruraux qui n’étaient pas tenables, se rendaient compte que, au fond, il leur restait la possibilité, soit, de s’effondrer, soit, au contraire, de se transformer.

Alors, le livre de Jared DIAMOND est préoccupant parce qu’il analyse des cas d’effondrement, c‘est-à-dire des sociétés humaines où on n’a pas su regarder la réalité en face
ou plus exactement, on n’a pas su s’adapter à la réalité. Et c’est évidemment extrêmement préoccupant. Mais c’est un livre qui montre aussi que, à toutes les périodes de l’histoire, il est arrivé que des hommes, des femmes, des sociétés prennent les bonnes décisions, et en corrigeant, en transformant leur mode de pensée, leur façon de faire, en faisant appel à des techniques nouvelles, en modérant l’utilisation de certaines ressources naturelles ou en prévoyant la suite, puissent s’adapter, ne pas s’effondrer, vivre et prospérer.

Et d’une certaine façon, nous sentons bien confusément, et certains pas du tout confusément, mais très pratiquement, que nous sommes, non pas dans tel ou tel pays, non pas dans telle ou telle île, mais partout sur la planète, dans une de ces situations où nous allons devoir nous poser la question de savoir si nous nous transformons, ce qui n’est jamais facile, ou si nous prenons le risque de nous effondrer. Ce qui est toujours terrible.

Et c’est une des questions du moment, c’est une des questions, au fond, que vous posez, et c’est une question collective. Et pour y répondre, je ne connais pas d’autre méthode que la discussion, la réflexion, l’intelligence collective, l’expérimentation, la découverte de ce que certains, à tel ou tel endroit, essaient et mettent en oeuvre, l’analyse de ces expérimentations avec la lucidité qui convient pour dire que ça ne marche pas, ou la lucidité pour dire que ça marche, mais que ça présente d’autres inconvénients, bref, la réflexion, l’utilisation de ce qui prévaut toujours quand les questions sont compliquées, ce que nous avons dans notre tête.

Et au fond, c’est la question que vous posez ici, et c’est la plus belle des questions. Elle se pose dans un contexte qui est redoutablement compliqué parce que cette question se pose à l’échelle de la planète. Elle se pose à un moment où nous expérimentons probablement des choses nouvelles, je dis probablement parce que là, encore, je parle avec humilité devant des gens qui savent bien plus de choses que moi en la matière. Il me semble que si on prend la question de l’alimentation, nous avons dans les 50, 60, allez, peut-être 80 dernières années, peut-être moins, connu une évolution dans notre rapport à l’alimentation, qui a probablement peu d’équivalent dans les 2.000, 3.000, 5.000 années qui nous ont précédés, non pas que les questions alimentaires aient été éternellement posées pendant 3, 4 ou 5.000 ans, mais la façon dont nous appréhendons l’alimentation, elle, s’est transformée à un rythme, la façon dont nous produisons ce que nous mangeons, dont nous transportons ce que nous mangeons.

Si j’osais, je dirais, la façon dont nous envisageons même ce que nous mangeons. Tout ça s’est considérablement mécanisé, massifié, mondialisé, et peut-être, à certains égards, uniformisé. Ce qui est sans doute assez positif, à bien des égards, on peut aujourd’hui nourrir plus qu’on n’a jamais pu nourrir, et à un coût assez modéré. Mais cet aspect positif doit être mis en regard d’aspects qui le sont moins, la malbouffe, d’un côté, la malnutrition, de l’autre, l’inégale répartition de la ressource alimentaire, le gâchis, la qualité piètre d’un certain nombre d’aliments consommés, et les difficultés d’accès aux ressources pour un grand nombre de nos contemporains.

L’aspect plus négatif, c’est aussi les très grandes pressions que subissent nos ressources, les sols, l’eau, le vivant. La pression démographique, la pression climatique qui assèche des terres d’un côté, et noie des cultures de l’autre, et qui a pour effet de jeter sur les routes un certain nombre de milliers de réfugiés, des pressions qui sont aussi économiques et qui conduisent – ça n’est pas nouveau, mais c’est accéléré – à une volatilité des cours et à des déséquilibres qui, pour beaucoup d’entre nous, apparaissent peu durables.

Rajoutons à cela les transformations techniques et technologiques qui viennent rajouter une forme de pression à la transformation, je pense notamment à quelque chose qui est parfois présenté comme d’un impact au moins aussi considérable que celui de la charrue, même si c’est un impact spontanément moins direct, c’est le numérique. Le numérique qui transforme radicalement la façon, là encore, d’envisager les productions agricoles.

« Le mangeur du XXIème siècle » si on voulait paraphraser le neveu de Raymond ARON, « le mangeur du XXIème siècle » a des goûts, des craintes, des exigences affirmées. Dans ce tableau trop rapidement brossé que pouvons-nous au fond pointer du doigt ? D’abord que la France a probablement beaucoup de chance, une chance considérable : celle d’avoir non pas une agriculture mais des agricultures qui fonctionnent sur des modèles différents, qui répondent à des besoins différents et qui doivent nous permettre de faire coexister une agriculture exportatrice de céréales, de produits laitiers, de vin, de viande et une agriculture beaucoup plus tournée vers des marchés locaux, des circuits courts, le bio.

Deuxième chose à relever, l’agriculture subit de plein fouet les pressions que j’évoquais tout à l’heure et je préfère la décrire comme subissant de plein fouet ces pressions ou ces transformations plutôt que d’indiquer qu’elle serait à elle seule responsable de ces pressions ou de ces transformations. Elle est au coeur de nos vies, elle est au coeur de notre planète et elle subit comme d’ailleurs bien d’autres domaines ou bien d’autres activités ces transformations.

Enfin, troisième, je ne sais pas s’il faut parler d’une conviction, troisième intuition en tout cas, ça j’en suis sûr, le temps des oppositions entre modèles – entre une agriculture d’un côté et un environnement de l’autre ou entre des agricultures traditionnelles et de nouveaux types d’agriculture, entre des agricultures qui seraient respectueuses de l’environnement et celles qui par définition auraient vocation à ne pas l’être – ces oppositions n’ont pas beaucoup de sens et n’ont pas beaucoup d’intérêt si on veut relever collectivement les défis qui ont été évoqués par monsieur le Maire au début de son propos et qui sont ceux que nous avons devant nous. Nous devons reconstruire, repenser, adapter ce qui existe, ne pas faire table rase du passé, c’est aussi absurde en matière humaine que ça peut l’être en matière agricole, mais redéfinir un modèle durable et adapté aux enjeux de l’époque.

La France est depuis longtemps et entend rester pour très longtemps une grande puissance agricole. Une puissance qui plonge ses racines dans une histoire ancestrale, je pourrais le dire à peu près partout en France mais je peux vraiment le dire en Champagne ! Et cette longue histoire nous permet d’aborder le sujet qui vous occupe avec peut-être un peu de profondeur de champ. Je voudrais donc vous parler de la manière dont nous envisageons – quand je dis « nous » ça n’est pas un « nous » de majesté, c’est le président de la République, le Gouvernement – dont nous envisageons et dont nous voulons transformer nos agricultures pour l’adapter aux enjeux que je viens d’évoquer.

D’abord non pas sur le modèle mais en nous inspirant d’une certaine façon du même impératif que celui qui vous guide dans votre démarche, nous avons souhaité commencer en réfléchissant et en réfléchissant à plusieurs en confrontant des points de vue, des expériences, des légitimités différentes. C’est ce qui nous a conduits à organiser les Etats généraux de l’alimentation dont j’imagine un certain nombre d’entre vous ont pu participer aux débats et les enrichir. Ces Etats généraux se sont déroulés dès le mois de juillet 2017 et jusqu’au mois de décembre et ils avaient pour objectif de réunir l’ensemble des parties prenantes dans tous les domaines quelle que soit leur spécialité, quelle que soit la nature des acteurs, tous ceux qui avaient quelque chose à dire et à faire dans les grandes questions de l’agriculture et de l’alimentation avaient vocation à participer à ces états généraux.

Les discussions se sont organisées autour de 14 ateliers thématiques mais les objectifs eux étaient au fond plus réduits numériquement mais très vastes intensivement puisque l’objectif c’était de permettre d’une part de trouver les moyens garantissant qu’on augmente la création de valeur et qu’on en assure l’équitable répartition. Un des sujets fondamentaux c’était celui-là, il est vrai en France, il est vrai partout, comment est-ce qu’on crée de la valeur et comment cette valeur créée dans le monde agricole est répartie de façon équitable. L’impression qui domine, la réalité même à certains égards c’est que cette valeur n’est pas équitablement répartie. Deuxième grande priorité, comment permettre aux agriculteurs de vivre dignement de leur travail grâce au paiement de prix justes ? Je dis bien « grâce au paiement de prix justes », ce qui veut dire que nous nous plaçons dans le cadre d’une économie de marché avec des prix et pas dans une organisation administrative qui permettrait de se substituer à ces logiques. Troisième objectif, accompagner la transformation des modèles agricoles pour permettre de mieux répondre aux attentes des consommateurs lesquels, vous le savez tous, se transforment, les consommateurs mais surtout leurs attentes. Quatrième priorité, garantir à tous une alimentation saine, sûre et durable.

Ces Etats généraux n’ont pas été comme le veut la formule « un long fleuve tranquille » parce que les attentes étaient différentes, parce que les expériences sont différentes, parce que les priorités peuvent être différentes. Mais ils ont permis de construire une stratégie et d’aboutir à un certain nombre de points clés sur lesquels on peut envisager l’avenir, une stratégie qui s’est définie et qui se décline aujourd’hui de différentes façons. D’abord les interprofessions qui réunissent tous les professionnels d’une même chaîne de valeur, ces interprofessionnels ont élaboré fin 2017 des plans de transformation des principales filières qui définissent pour chacune d’entre elles des objectifs de contractualisation, de montée en gamme, de développement de modes de production respectueux de l’environnement, de segmentation de l’offre, de diversification des produits ou d’export. Pour certaines interprofessions l’exercice était extrêmement simple car l’habitude avait été prise ; pour d’autres, c’était moins naturel. Aujourd’hui, je crois que tout le monde se rend compte que cet exercice est un exercice utile, et probablement même indispensable si on veut se projeter dans l’avenir et mieux répondre aux attentes des Français.

La seconde traduction, c’était une traduction de nature législative, le Parlement a commencé à examiner, va poursuivre l’examen d’un projet de loi qui retranscrit un certain nombre des engagements de ces Etats généraux, comme par exemple le rééquilibrage de la chaîne de valeur au bénéfice des agriculteurs et des petites et moyennes entreprises, comme aussi le renforcement du lien de confiance entre agriculture, alimentation et consommateurs, avec l’introduction d’un objectif simple, la présence d’au moins 50 % de produits bio locaux ou écologique dans la restauration collective.

C’est un objectif ambitieux, difficile à atteindre, mais fixer des objectifs, c’est souvent s’imposer de trouver les instruments qui permettent de les atteindre. Parmi vos réflexions, il y a l’idée, je crois, de lancer un pacte entre villes moyennes sur l’alimentation, sur le modèle du pacte de Milan que des grandes métropoles ont signé en 2015, c’est une belle ambition, et nous en avons d’ailleurs proposé une traduction dans la loi, conformément aux engagements du président de la République. L’enjeu, c’est de faire naître dans les collectivités, dans les territoires, les projets qui permettront d’atteindre cet objectif.

Lundi dernier, le ministre de l’Agriculture, Stéphane TRAVERT, a présenté les principales mesures du plan Ambition Bio 2022, dont un des objectifs est d’atteindre 15 % de surface agricole utile en agriculture biologique d’ici 2022 ; c’est un plan qui mobilisera un peu plus d’un milliard d’euros pour accélérer la conversion des exploitations.
Et de son côté, le grand plan d’investissement prévoira 5 milliards d’euros pour accompagner des projets individuels et collectifs, il s’agit-là, nous le voyons bien, d’accompagner cette transformation, elle est devant nous, elle est indispensable, nous le savons, mais elle est difficile, elle est onéreuse, il faut l’accompagner.

Enfin, dernier engagement que je voulais évoquer, l’organisation de la transition vers une agriculture plus sobre en intrants, en particulier en produits phytopharmaceutiques. Sur ce point, la France s’est montrée particulièrement engagée, notamment au niveau européen, je rappelle que sans la France, l’Europe aurait probablement prolongé l’autorisation d’utilisation du glyphosate pour une durée de dix ans, et que grâce à la France, cette prolongation n’a été retenue que pour cinq ans.

Je peux entendre que pour certains, c’est toujours trop, mais sachant d’où on part, avant de dire où on aurait dû arriver. En France, nous avons décidé, nous avons affirmé un objectif qui est celui de mettre fin aux principaux usages du glyphosate d’ici trois ans, et à tous ces usages d’ici cinq ans. L’important aujourd’hui c’est de se donner les moyens d’atteindre cet objectif majeur. Pour l’atteindre, il faut organiser de manière concrète, confiante et concertée – j’insiste sur les trois termes concrète, confiante et concertée – cette transition avec les agriculteurs parce qu’elle n’est inenvisageable et impossible sans eux et peut-être même contre eux et parce qu’il serait scandaleux de laisser quiconque dans une forme d’impasse. C’était l’objectif de la réunion qui s’est tenue la semaine dernière avec Nicolas HULOT, le ministre d’Etat en charge de la Transition écologique et solidaire et Stéphane TRAVERT le ministre de l’Agriculture et avec l’ensemble des acteurs concernés : les syndicats agricoles, les représentants de l’industrie agroalimentaire, de la distribution, les chercheurs. L’idée est de trouver les solutions concrètes ensemble pour atteindre les objectifs que je viens de rappeler : diminution ou réduction, disparition des principaux usages et disparition à terme de tous les usages d’ici cinq ans.

Certaines organisations agricoles ont commencé à élaborer des propositions, la FNSEA propose par exemple un contrat de solutions, je profite de la tribune qui m’est offerte Monsieur le Maire pour saluer cette volonté d’avancer, le Gouvernement précisera dans les prochaines semaines les actions du programme national Ecophyto qui seront mises en oeuvre à partir de 2019, nous prendrons en compte les propositions de l’ensemble des parties prenantes et bien sûr le contrat de solutions qui a été évoqué par la FNSEA. C’est uniquement si cette méthode, c’est-à-dire réfléchir par la solution plutôt que imposer par la norme, c’est uniquement si cette méthode ne produit pas d’effet que nous poserons la question du recours à la loi. Mais je préfère par nature et par souci d’efficacité faire d’abord confiance aux acteurs, privilégier cette confiance, privilégier la concertation plutôt que d’imposer par la loi.

Enfin un mot parce que je me trouve au Forum Planète A, avec un A comme Abeille – et vous me permettrait donc de dire un mot des insectes pollinisateurs – je ne reviendrais pas sur le monde qui prévaudrait dans un monde sans pollinisateur, c’est déjà le cas dans certaines régions de Chine où des ouvrières, qu’on appelle parfois les femmes abeilles assurent la pollinisation de leurs vergers à la main. Mes conseillers m’ont parlé d’une série anglaise
d’anticipation sur Netflix qui s’intitule « Black Mirror », dans l’un de ses épisodes les hommes ont dû remplacer les vrais insectes par des abeilles robotisées et il se trouve que ça termine assez mal. Plus proche de nous tout le monde a bien conscience du rôle que jouent les abeilles sur l’ensemble de la production agricole, sur l’ensemble de l’environnement qui nous entoure et, d’une certaine façon, cette question nous renvoie au début de mon propos à Jared DIAMOND, ce à quoi nous assistons aujourd’hui – et ce qui est parfois difficile à expliquer je le sais – doit-il être pris ou non comme le signe que si nous ne nous adaptons pas alors nous pourrions courir le risque de nous effondrer ?

Comme toujours vaut mieux écouter les signes, il vaut mieux les prendre en compte, plutôt que les pousser du plat de la main en se disant qu’on verra plus tard, parce que le plus tard c’est souvent le trop tard. C’est pourquoi, dans le cadre du plan d’action gouvernemental sur les produits phytopharmaceutiques, nous allons renforcer les dispositions règlementaires qui protègent les abeilles domestiques et les pollinisateurs sauvages et, dès le 1er septembre prochain, nous mettrons en oeuvre les dispositions de la loi Biodiversité interdisant l’usage des néonicotinoïdes qui attaquent le système nerveux des abeilles – je rappelle qu’en 2016 cette interdiction a créé beaucoup d’émoi en Europe, elle est en train de se généraliser il y a quelques semaines – j’ajoute que dans le cadre de l’examen du projet de loi issu des Etats généraux de l’alimentation que j’évoquais tout à l’heure nous soutenons l’extension de cette interdiction aux substances qui fonctionnent selon un mode identique. Ce changement de paradigme sera au coeur du plan pour la biodiversité que je présenterai avec Nicolas HULOT et d’autres membres du Gouvernement la semaine prochaine, un changement qui vise à enrayer la disparition silencieuse de la biodiversité, un mouvement qui nous appelle à être au moins aussi vigilants sur la question de la biodiversité que le niveau de vigilance que nous avons réussi d’une certaine façon à partager sur les questions climatiques.

Un dernier mot peut-être pour dire que ce sujet est français mais que tout ce que nous faisons en France ne peut prendre son sens et finalement avoir une portée utile que s’il est envisagé dans le cadre plus général de l’action européenne.
Les 500 millions de consommateurs de l’Union européenne partagent très souvent – pas tous, c’est vrai –, mais partagent très souvent des préoccupations sociétales communes. Ils partagent pour le coup aussi tous une longue tradition agricole et un attachement très fort à leurs terroirs et à leurs appellations d’origine. Nous avons donc engagé des discussions très fermes avec la Commission pour réfléchir, réagir et réfléchir à l’avenir de la PAC, à son évolution et à son budget et je veux le dire clairement, pour l’instant, le compte n’y est pas.
Il faut donc poursuivre nos discussions avec nos partenaires pour défendre notre ambition agricole avec courtoisie, avec respect, mais surtout avec une détermination sans faille car, là encore, ce que j’évoquais tout à l’heure sur la nécessaire transformation du système agricole français est vrai pour l’ensemble de l’Union européenne et nous ne pourrons pas accompagner cette transformation au niveau de l’Union européenne si nous donnons le sentiment que l’Union s’en désintéresse ou, si nous n’y consacrons pas les moyens nécessaires. Nous devons accompagner sinon nous prenons le risque de nous effondrer.

Nous allons demander et nous demandons déjà des efforts considérables à nos agriculteurs dans un contexte de concurrence que j’ai rappelé. Un mot peut-être, Mesdames et Messieurs, pour dire qu’il ne faut pas craindre la concurrence et qu’il ne faut certainement pas la craindre lorsqu’on est Français. Très souvent, lorsque je rencontre des agriculteurs, plus encore quand je rencontre des représentants des agriculteurs, on évoque les dangers de la concurrence, de l’ouverture des marchés, on ne voit que le risque des importations sans jamais rappeler ou en faisant mine d’oublier que la possibilité des exportations est souvent un bienfait.

Je le dis parce que l’ouverture des marchés, ça n’est jamais dans un seul sens, ce doit être réciproque. Il faut donc se battre pour que cela puisse être réciproque et il faut se souvenir que, dans un pays comme la France, avec une agriculture forte, nous avons, je crois, beaucoup à gagner à l’ouverture des marchés, nous avons beaucoup à gagner aux discussions engagées par l’Union européenne avec le Japon pour l’ouverture d’un certain nombre de marchés agricoles.

De la même façon, j’ai été profondément heureux lundi dernier à Pékin d’être associé et d’obtenir la signature du protocole d’exportation qui va permettre aux producteurs français de viande bovine d’exporter jusqu’à 30.000 tonnes de viande bovine vers la Chine. La Chine est un marché considérable, la Chine est un marché où l’alimentation se transforme. Depuis 17 ans, nous ne pouvions pas accéder au marché chinois, c’est désormais le cas. C’est une chance à saisir et il est bon de se le dire et d’en saisir toute l’opportunité.

Voilà, nous sommes, Mesdames et Messieurs, à Châlons-en-Champagne, à Planète A, A comme Abeille, je l’ai dit, et A comme d’une certaine façon la seule, car j’ai souvent entendu parler de genre de plan B. En général, quand on mentionne le plan B, il est déjà trop tard. Il n’y a pas de planète B. Il n’y en a qu’une. C’est la nôtre. Il faut faire avec. Il faut la préserver, pour faire en sorte qu’elle nous préserve, nous. Alors, le B, c’est bien sûr le B de bio, de biodiversité, de bon, de biotech, de beaux métiers, il a beaucoup d’avantages, il a beaucoup d’intérêts. Mais il doit d’abord et avant tout nous rappeler qu’il n’y a qu’une seule planète et qu’il n’y a pas d’alternative – avec A – à celle sur laquelle nous sommes aujourd’hui. C’est un immense défi pour l’Humanité. C’est assez réjouissant de vivre dans une société confrontée à un défi de cette nature.

Je voudrais terminer et vraiment terminer en une formule, pour revenir sur Jared DIAMOND. Il y a quelque chose que DIAMOND ne décrit pas complètement dans son livre, probablement parce qu’il y a d’ailleurs trop peu de sources historiques pour comprendre comment les décisions de faire ou de ne pas faire sont prises. On sait que l’écosystème de l’Ile de Pâques s’est effondré. On arrive à peu près à comprendre pourquoi il s’est effondré. Ce qu’on ne sait pas, c’est ce qui s’est passé dans la tête de ceux qui étaient, soit confrontés, enfin qui étaient décisionnaires au moment où on aurait pu changer ou pas de modèle. Pas suffisamment de sources historiques pour savoir ça. Nous vivons au moment où nous avons les décisions à prendre. Tout le monde dans cette salle participe à cette décision. Parce que ce sont vos métiers, parce que vous avez une forme d’influence, d’impact, parfois c’est très limité, parfois c’est considérable. Mais vous avez tous un impact. Nous avons tous un impact. C’est donc à nous qu’il revient de prendre cette décision. C’est formidable, imaginez que ce soit à d’autres. Ce serait très angoissant. Mais ceux à qui il revient de prendre cette décision, ils sont là. Ils sont convaincus de la nécessité de répondre à l’importance du défi.

Alors merci à vous tous d’avoir fait le déplacement de Châlons-en-Champagne, merci à vous tous d’avoir commencé ici cette discussion, cette confrontation, de l’avoir poursuivie pour certains, bien entendu, et j’espère Monsieur le Maire, que dans les années qui viendront, le rendez-vous de Chalons sera un rendez-vous régulier et qu’il nous permettra de voir si la visions que vous m’avez exprimée dans votre bureau, il y a un an, devient chaque année toujours plus une réalité, et à vous, de voir si collectivement nous avons pris les bonnes
décisions qui nous permettent d’assurer et d’envisager un avenir commun pacifique, prospère et glorieux. Merci beaucoup.

 
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Author: Redaction