Commentaire sur le projet de M. Bruno Le Maire

sans-titreVoici un commentaire du programme de M. Bruno Le maire pour lequel j’étais sollicité, en tandem avec M. Jean Petaux, universitaire, par le site d’information Atlantico. Je trouve qu’il y a beaucoup de bonnes idées, notamment sur le renouvellement de la politique française, mais une lacune fondamentale qui tient au renforcement de l’hyper-présidentialisme, selon moi l’une des causes du blocage français.

Bruno Le Maire, parmi les candidats de la primaire de droite, est celui qui incarne par son âge le renouvellement de génération. Il est intéressant de se demander si cet objectif se retrouve dans son projet. La publication d’un volumineux contrat présidentiel de plus de 1000 pages, allant jusqu’aux détails les plus fins . Les modalités de remboursement par la sécurité sociale des lunettes et des soins dentaires sont des sujets importants dans la vie des Français, mais ne relèvent-elles pas d’un programme législatifs davantage que d’un contrat présidentiel ? De même que le nombre précis d’agents qui seront recrutés par l’office français des réfugiés et apatrides) ? Ce projet s’inscrit clairement dans la logique de l’hyperprésidence, à l’œuvre depuis une quinzaine d’années, surtout depuis le passage au quinquennat, celle d’un chef de l’Etat incarnant à lui seul le pouvoir politique, se substituant de fait au Premier ministre, aux ministres, à la majorité parlementaire. Telle n’est absolument pas la logique initiale de la Ve République, gaullienne, qui fait du président de la République « un arbitre, garant du fonctionnement régulier des pouvoirs publics, de l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire et du respect des traités ». Ce projet présidentiel s’apparente surtout au programme de gouvernement d’une majorité. Dans sa conception élyséenne, qui fusionne les notions de présidence et de gouvernement, Bruno Le Maire s’inscrit donc dans la continuité de l’hyperprésidence actuelle qui fait du chef de l’Etat l’unique pivot de la vie politico-médiatique.

D’ailleurs, ses propositions concernant la réforme des institutions n’innovent pas fondamentalement. Il propose une mesure très intéressante visant à favoriser le brassage de la classe politique en limitant à trois le nombre de mandats parlementaires consécutifs. L’ambition de renouvellement de la classe politique est l’aspect le plus original et ambitieux de ce programme. Il entend supprimer le Conseil économique et social, limiter le nombre de parlementaires, le cumul des mandats, et obliger les élus nationaux à démissionner de la fonction publique. Cela reflète une louable intention de réaliser des économies et d’assainir la vie politique, mais ne remet guère en cause l’équilibre entre les pouvoirs publics et le mode de fonctionnement du système politique français et surtout, son hyperprésidentialisme qui est l’un de des grandes causes du blocage politique de la France: donner l’illusion que toute l’essence du pouvoir se concentre en une seule main revient à dévaloriser et démotiver les autres acteurs du gouvernement de la France. Quant au recours accru au référendum, il est conforme à une proposition commune à quasiment tous les candidats et qui reflète la volonté de surmonter la coupure entre la France des élites dirigeantes et le peuple.

Le projet de M. Le Maire a l’immense avantage de ne pas tourner le dos à la question européenne et d’aborder franchement ce sujet crucial pour l’avenir. Pour autant, il donne le sentiment de se situer plus dans une logique de continuité que de renouveau et d’imagination. Renforcer l’axe franco-allemand, conduire une réflexion approfondie avec les cinq autres membres fondateurs de l’Europe sur le projet européen: tout cela est nécessaire mais ne dit pas grand chose sur les réformes radicales dont l’Europe a besoin pour se relancer et surmonter les faiblesses constatées au cours des dernières années: fracture entre l’Allemagne et les pays du Sud, échec dans la gestion de la crise des migrants, explosion du chômage, poussée électorale extrémiste et nationaliste, Brexit, vertigineuse montée de l’euroscepticisme. Le contrat présidentiel par ses propositions sur ce point, ne semble pas à la hauteur d’un défi d’une ampleur titanesque pour les générations à venir. Par exemple, la création d’un corps de gardes frontières est un sujet dont il est question depuis 1999. L’idée serait de doter la structure de coordination actuelle, FRONTEX, de ses propres moyens en recrutant 1000 fonctionnaires européens. On a du mal à voir en quoi ce coûteux recrutement aurait le moindre impact sur la maîtrise des frontières Européennes.

En matière d’emploi, les propositions de Bruno Le Maire vont à l’évidence dans le bon sens: allègements de charges pour les entreprises, privatisation de pôle emploi, création d’une allocation de solidarité unique favorisant la reprise d’un emploi, simplification de la vie des entreprises. Un point de son programme sur l’emploi et la réindustrialisation mérite une attention particulière: sa volonté clairement affirmée de renforcer et de développer l’apprentissage, la formation professionnelle, la revalorisation du travail manuel et des formations technologiques, l’objectif de renforcer les liens entre l’entreprise et l’éducation nationale, pour la relance de l’industrialisation de la France, une politique qui est au centre de la réussite allemande. Ces propositions sont une clé de l’avenir économique de la France. Cet engagement en faveur d’un rapprochement du modèle allemand semble être la touche particulière du projet en matière économique.

Dans le domaine de régalien, M. Bruno le maire touche un point essentiel en préconisant un renforcement du pouvoir et de la responsabilité des maires. Ils sont les plus proches de la réalité de terrain. Il leur appartient de définir et de conduire la politique locale de sécurité, en matière de prévention des crimes et des délits et de protection des population, dans le cadre d’une coordination départementale par les préfets. Ce volet du projet comporte nombre de vœux intéressants mais dont on a du mal à voir ce qu’ils recouvrent de bien nouveau: renforcer la coordination police gendarmerie, élaborer un plan national de lutte contre les cambriolage. Il prône une « justice d’exception » contre le terrorisme. La sévérité de la justice est-elle vraiment le fond du problème face à des individus déterminées à mourir en tuant un maximum de personnes? Sur le sujet de l’immigration, central dans le projet de M. Le Maire, les propositions semblent s’éloigner de la réalité de terrain. Il propose curieusement de conditionner le regroupement familial au revenu d’un travail adapté à la taille de la famille. Tel est déjà le cas depuis les réformes de 2006 et 2007. Il préconise un contrat d’accueil et d’intégration obligatoire, qui existe depuis 2003, renforcé en 2006. Quand à son idée de mettre fin au caractère suspensif des recours devant la justice en cas de mesure d’éloignement (si l’on a bien compris), elle serait illégale au regard des principes constitutionnels, de la CEDH et du droit européen.


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Author: Redaction