Atlantico – « Parti médiatique » ou triomphe du conformisme?

Le site Atlantico m’a interrogé, en tandem avec M. Christophe Boutin, sur l’existence d’un « parti médiatique ». Plutôt qu’un parti, avec ce que cela suppose d’organisation et de préméditation, je crois plutôt à un instinct grégaire extrêmement puissant, un conformisme qui caractérise particulièrement notre époque. Bien loin de rendre service au pouvoir politique, l’esprit de servilité contribue toujours à aggraver sa déconnexion du monde des réalités.

1-Dans un billet de soutien à Laurent Wauquiez contre la « CIA médiatique » Jean Luc Mélenchon fustige un « parti médiatique » qui serait à la solde d’Emmanuel Macron. Derrière les accusations portées par le leader de la France Insoumise, ne peut-on pas effectivement constater un effet sociologique des médias qui marquerait un écart grandissant avec le reste de la population ?Comment peut quantifier la part consciente et inconsciente du support médiatique offert à Emmanuel Macron ? Le rôle du chien garde, dénoncé par Paul Nizan, et réaffirmé par Serge Halimi est-il encore à l’oeuvre? Avec quels effets sur l’opinion?

Il est sans doute excessif de parler de « parti médiatique ». Cela supposerait une organisation souterraine qui tire les ficelles d’une stratégie de soutien au pouvoir actuel. Il n’existe rien de tel. En revanche, je ne vois pas très bien comment, en toute bonne foi, on pourrait nier un climat général, dans le monde de la presse et des médias, plutôt complaisant envers l’équipe actuelle. Les chaînes d’information à l’image de BFMTV, sont dans une logique de ralliement au pouvoir. Les grandes chaînes, TF1 et France 2 et encore plus les radios, Europe 1 et RTL, les grands hebdomadaires, paraissent globalement dans une logique de soutien au pouvoir en place, et fort peu critiques, sauf exceptions ponctuelles. La presse suit également dans son ensemble, avec toutefois des nuances. Les Echos ou l’Express et le Point sont des inconditionnels. Le Monde et Libération ont parfois des articles critiques, développant une tonalité de contestation de gauche, par exemple sur l’immigration, mais dont l’effet est favorable au pouvoir en place en cautionnant une image de fermeté qui est largement recherchée. Globlement, la tonalité générale est à l’approbation. Il existe aussi une presse d’opposition, à l’image de Valeurs actuelles à droite et de Marianne à gauche ou l’Humanité, qui sont sans concession, mais elle paraît, aujourd’hui extérieure au grand courant idéologique général. Il me semble que le processus est inconscient, je ne crois pas qu’il y ait une volonté avérée et consciente de soutien au pouvoir en place, les choses se font naturellement. Il n’est pas question non plus d’effet « chien de garde » supposant une volonté avérée de propagande d’Etat, la réalité est infiniment plus insidieuse.

​  2-Quels sont les processus internes aux médias qui peuvent avoir pour résultat de créer cette impression, notamment au sein des débats toujours plus nombreux, organisés sur les plateaux télévisés ? La recherche de la modération lors de ces interventions n’entraîne-t-elle pas un effet de calque avec le « et de droite et de gauche » revendiqué par Emmanuel Macron ? 

Il me semble que le maître mot pour caractériser la situation actuelle est celui de conformisme. Il existe une véritable fascination ou séduction d’une large partie des hommes et femmes de médias pour le personnage d’Emmanuel Macron, sa jeunesse, qui renvoie au souvenir de Kennedy, son audace, sa modernité, son charisme. La personnalisation du pouvoir plaît au monde médiatique par son effet simplificateur, s’adressant aux émotions, à la passion, aux sentiments (d’amour ou de haine), plutôt qu’à la réflexion critique. Sur le plan idéologique, le pouvoir en place depuis 2017 a une vertu consensualiste. Il est, par ses origine, d’essence socialiste. Le président Macron est l’ancien conseiller et ministre de l’Economie du président Hollande. Mais par ses choix symboliques, notamment celui du Premier ministre, il convient au centre-droit. Cet effet unificateur surmontant les clivages traditionnels, crée un mouvement d’adhésion extrêmement puissant dans les médias. En outre, l’idéologie qu’incarne le pouvoir en place rejoint le mode de pensée dominant dans les médias et la presse, fondé sur une image de libéralisme économique et sociétal sans frontière, d’engagement marqué en faveur d’une conception de l’Europe fondée sur les transferts de souveraineté à Bruxelles, de prise de distance avec la nation comme source d’autorité et d’unité. Si le « populisme » est le mal absolu pour le monde de la presse et des médias, l’équipe actuelle peut se définir par son « anti-populisme ». Et c’est en celà qu’elle plaît. Le pouvoir en place se caractérise de même par un découplage accentué entre l’image et l’action sur le monde des réalités. Il cultive un style, une communication, une parole fondée sur la « transformation radicale » du pays et l’autorité sans concession. Mais « en même temps' », il a jusqu’à présent, évité soigneusement, dans les faits, tout ce qui est susceptible de bousculer le monde réel, de déplaire au monde médiatique, de susciter des crispations, de mettre en cause des droits acquis, et d’engendrer une situation de crise, à l’image symbolique de Notre-Dame-des Landes. Le monde médiatique, dans son ensemble, s’intéresse surtout à l’aspect virtuel de la vie gouvernementale, le spectacle, les images, les discours. Il renonce plus ou moins à creuser les sujets, à s’intéresser à l’impact réel, positif ou négatif des réformes, leur effet sur la réalité. C’est en cela que le conformisme, sauf exceptions, triomphe. Le courant souffle dans un sens. Il est très difficile de s’en démarquer sans se marginaliser.

3- Quels sont les limites de l’influence des médias ? Dans quelle mesure l’élection de Donald Trump, par exemple, le référendum de 2005 en France, peuvent-ils infirmer l’idée que les médias les plus puissants seraient faiseurs de roi au sein de nos démocraties ?

D’abord, il faut dire que cette situation est extrêmement fragile. Elle repose sur l’image et non l’analyse objective des réalités. Elle peut basculer à tout moment et les médias versatiles, se mettre à brûler ce qu’ils ont adoré. Il suffit de peu, un fait divers, une lassitude. Ce basculement se produira probablement à un moment ou à un autre, et il sera violent. Ce fut le sort de Nicolas Sarkozy et dans une moindre mesure, celui de François Hollande. Par ailleurs, concernant le pouvoir actuel,le décalage semble très marqué entre l’air du temps médiatique et le ressenti populaire. Le fossé entre la France dite « d’en haut », et la France dite « d’en bas », la majorité silencieuse, semble plus profond que jamais. Les deux mondes paraissent évoluer en parallèle. Malgré le matraquage médiatique quotidien et l’amélioration spectaculaire des statistiques de l’emploi, la cote de popularité du président de la Répubique s’est effondrée depuis le début de l’année (- 11% selon un sondage). Le ressenti populaire envers le pouvoir politique, jugé arrogant, est en décalage croissant avec celui du monde médiatique et des élites en général. Oui, on retrouve le syndrome du référendum de 2005 et de celui sur le Brexit comme celui de l’élection de Trump. La crise de confiance touche largement les médias. Ils sont la deuxième institution dont les Français ont le moins confiance : 24% (Cevipof 2018). Seuls les partis politiques font pire (9%). Même les banques et les syndicats sont mieux placés (27%). C’est cet unanimisme, consensalisme, conformisme qui fait si mal. Les Français ont l’impression que les médias disent tous à peu près la même chose et font un travail de moralisation, de façonnage des esprits, de propagande idéologique plutôt que d’information. Ils conçoivent, à travers le conformisme ambiant, l’existence d’une caste de « puissants » politique, économique, médiatique, qui s’entendent pour conditionner les esprits et imposer une pensée unique. Avec Internet et les réseaux sociaux s’est développé un espace de discussion, d’échange des idées et des informations qui prend le pas sur les médias traditionnels, avec évidemment le risque des fausses nouvelles et de l’extrémisme. Pourtant, on a besoin de professionnels de l’information et d’une presse libre et diversifiée dans les opinions qu’elle exprime. La liberté et le pluralisme de la presse sont les garants de la démocratie. Une presse et des médias qui retrouveraient une liberté de ton et d’expression, dans la pluralité des opinions sur tous les sujets, axée davantage sur l’information, la connaissance de la réalité, et non le lavage de cerveaux, beaucoup plus critique, au sens fort du terme, en positif ou en négatif, moins soumise aux phénomènes de conformisme, serait infiniment plus crédible et pourrait revenir en force dans l’estime et la confiance des Français tout en retrouvant une large audience.

Maxime TANDONNET

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Author: Redaction