70 ans de la Sécurité Sociale : discours de Marisol TOURAINE


Marisol TOURAINE a ouvert, mardi 6 octobre, la rencontre nationale pour les 70 ans de la Sécurité sociale, organisée à la Mutualité Française.

Vous pouvez lire son discours ci-dessous et le télécharger en cliquant ici.

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Intervention de Marisol Touraine
Ministre des Affaires sociales, de la Santé et des Droits des femmes
Ouverture des 70 ans de la Sécurité sociale
Mardi 6 octobre 2015

(seul le prononcé fait foi)

Mesdames et messieurs les parlementaires,

Mesdames et messieurs les représentants des partenaires sociaux,

Mesdames et messieurs les présidentes, présidents, directrices et directeurs,

Mesdames et messieurs,

Nous sommes aujourd’hui réunis pour un anniversaire. Pas de ceux qui imposent le recueillement ou l’introspection mais au contraire, invitent à la célébration et au rassemblement ; cet anniversaire, c’est à la fois celui d’une conquête mais aussi d’une vision, c’est celui d’une vision qui a irréversiblement changé notre pays, cet anniversaire, c’est celui de la sécurité sociale.

Il y a 70 ans en effet, le jeudi 4 octobre 1945,  était promulguée l’ordonnance instaurant la sécurité sociale en France. Une simple ordonnance pour une si grande idée, aurait-on presque envie de dire.

Une simple ordonnance certes mais parce qu’en cet automne 1945, l’heure est à l’action. Il faut reconstruire, bien sûr, mais il faut surtout poser très vite les jalons d’une société nouvelle.

La France est devenue lucide sur les causes de son effondrement et la fraternité forgée dans le conflit demeure vive. La réflexion sur les valeurs et les principes de la sécurité sociale a déjà été conduite, dans la pénombre et sous le joug, par le CNR, et diffusée dans son programme intitulé « les jours heureux ». Les esprits sont prêts au changement, il faut en profiter et agir vite.

Une simple ordonnance, soit, mais qui prendra rang parmi les textes fondateurs en posant les bases d’une nouvelle génération de droits de l’homme, les droits sociaux, et en densifiant notre conception de la citoyenneté par l’ajout, à ses volets civil et politique, d’une dimension sociale.

Ce progrès, nous l’associons bien sûr à Pierre Laroque et Ambroise Croizat. Ce progrès, alors intimement lié au travail et qui marque le passage d’une pratique d’assistance à une logique de solidarité, nous en devrons la consolidation aux partenaires sociaux qui ont pensé et bâti le système et continuent aujourd’hui de l’administrer.

J’en resterai là de l’évocation historique mais il me paraissait essentiel de commencer par-là et de rappeler que si la « sécu » nous est aujourd’hui familière et que bénéficier de sa protection apparaît naturel, il s’agit sans doute d’un des plus grands progrès qui soit et qu’il aura fallu des circonstances exceptionnelles pour qu’il voie le jour. Sa préservation et sa modernisation tiennent alors autant du devoir que du besoin.

L’égalité politique ne suffit en effet pas à faire République. La citoyenneté politique nous dit égaux mais c’est la citoyenneté sociale qui nous rassemble et nous unit.  La solidarité produit du partage. Au-delà de nos différences et en dépit de nos divergences, nous savons que chacun bénéficie de la protection de tous et que nous sommes tour à tour celui qui reçoit et celui qui donne. Dans les périodes de tension, de pression ou d’agression ce lien indéfectible change tout. La tragédie des années 30 a érigé la solidarité en bouclier de la République. Ceux qui se jouent de la solidarité, dans les temps troublés, fissurent notre pacte commun.

La présence aujourd’hui du Président de la République et des présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat témoigne de ce que la sécurité sociale a d’essentiel pour notre vivre ensemble mais cette adhésion n’est pas seulement le produit d’une histoire, de valeurs, elle résulte tout autant de son efficacité. L’idée est belle et le modèle fonctionne !

Depuis 1945, on vit plus vieux, on vit toujours mieux et on vit de plus en plus nombreux. Comment ne pas voir dans cette évolution majeure les effets de la sécurité sociale ? Comment ne pas voir le rôle joué par un système de santé aussi bon qu’accessible ; les effets d’une politique familiale qui fait autant contre la pauvreté que pour l’émancipation des femmes ; le changement permis par un système de retraite qui garantit des années de vie digne après l’activité ?

Ces exemples, il y en a d’autres, ils ne sont pas seulement la résultante du progrès technique et scientifique sinon tous les pays développés afficheraient la même vitalité. Ils sont bel et bien le fruit de notre Etat social. Celui-ci protège des aléas de la vie, et il est fait pour ça me direz-vous. Mais il fait bien plus que cela.

Par sa robustesse, il rassure et engage chacun à se projeter. Le taux de fécondité en est le meilleur indicateur ; 2.01 enfant par femme en France. Etre mère et travailler ne sont pas antinomiques parce que les parents savent pouvoir bénéficier de prestations familiales et d’un mode de garde adapté. Dans les études, les Français affichent une forme de pessimisme collectif mais dans leur comportement individuel, ils manifestent leur confiance en l’avenir.

Par sa surface financière notre Etat social permet de financer un système de soins qui soutient toutes les comparaisons en termes de qualité et d’accessibilité. Un seul exemple : nos centres hospitaliers universitaires sont à l’origine de plus de 100 premières mondiales et chaque Français sait qu’il pourra profiter de cette médecine de pointe s’il en a besoin.

Par la répartition qu’il opère entre ses bénéficiaires, il contribue également à une redistribution du pouvoir d’achat là vers les ménages modestes. La récente étude de l’INSEE en atteste, en France, les inégalités se réduisent, la pauvreté diminue.

La sécurité sociale est efficace, c’est avéré. Mais pour le rester, elle doit être toujours interrogée, réformée, repensée. A la permanence des grands principes elle doit allier l’évolutivité de leur mise en œuvre pour s’adapter sans cesse à la donne sociale et économique.

La sécurité sociale innove pour offrir une couverture au plus grand nombre.

De sa généralisation progressive à toutes les catégories de travailleurs dans les années d’après-guerre à la création de la Couverture Maladie Universelle en 2000, c’est une longue marche vers l’universalisation. Cette marche, nous la prolongerons très prochainement dans le domaine de la santé avec la mise en œuvre de deux nouvelles étapes fondamentales : la généralisation du tiers payant et la protection  universelle maladie.

Le tiers payant, d’abord, est un progrès majeur. Parce qu’il abolit l’obstacle financier. Parce qu’il met un terme à l’insupportable « sélection à l’entrée » qui conduit nombre de Français à renoncer à se soigner faute de pouvoir avancer les frais. Dans le prolongement de la CMU, le tiers payant vient parachever le caractère profondément juste et universel de notre système de santé. Il s’agit en cela d’une réforme de justice profondément structurante.

Réformer structurellement pour faire progresser notre modèle social, c’est le sens de la protection universelle maladie. Il s’agit de pallier les ruptures de parcours de plus en plus éclatés. Mais il s’agit d’infiniment plus que cela. Avec la protection universelle maladie, tous les Français deviendront des assurés à part entière par leur résidence, la notion d’ayant droit disparaîtra avec la majorité. Chaque personne sera porteuse de ses propres droits. Les changements de situation professionnelle, de lieu d’habitation n’auront alors plus de conséquences. C’est une avancée en matière de couverture, c’est un progrès en terme de citoyenneté sociale, c’est aussi la démonstration que la sécurité sociale se réforme pour s’adapter aux nouvelles réalités.

Il s’agit pour elle de rester pertinente en épousant en permanence les contours de l’époque.

Après-guerre, la sécurité sociale s’invente dans une société du plein emploi mais où seul le chef de famille travaille.

Aujourd’hui, elle s’inscrit dans un monde plus complexe, plus divers, plus morcelé.

C’est pourquoi la sécurité sociale innove en personnalisant ses prises en charge. La protection universelle maladie fait de l’ayant droit un assuré à part entière. La garantie d’impayé des pensions alimentaires intègre la réalité contemporaine des familles monoparentales. L’introduction de la pénibilité dans le calcul de la durée  de cotisation pour la retraite, prend en compte la vérité des parcours professionnels qui laissent pas à tous la même espérance de vie en bonne santé. La prime d’activité prend en considération les jeunes actifs, jusqu’ici exclus des dispositifs d’incitation au retour à l’emploi. Le compte personnel d’activité lie les droits à la personne, plus au poste occupé.

Ce mouvement de modernisation ne concerne pas seulement les prestations, l’innovation est partout. Création de la carte vitale, multiplication des canaux d’échange entre l’assuré et les caisses, instauration des espaces personnels sur internet… le numérique est de plus en plus présent et les caisses tordent chaque jour un peu plus le cou aux poncifs d’antan sur les « guichets de la sécu ».

Création d’un « blue button » à la française ou valorisation encadrée du gisement de données produit notamment par l’assurance maladie sont nos prochains grands chantiers.

La sécurité innove enfin pour durer. Vivre longtemps avec une maladie autrefois fatale, vivre plus vieux et donc passer plus de temps à la retraite, vivre plus nombreux… Ce sont des progrès considérables pour la vie des Français. Certains les réduisent à « une charge » à assumer ? Nous les considérons, pour notre part, comme une chance à valoriser. Certains s’appuient sur les déficits pour mieux les remettre en cause ? Nous défendons, pour notre part, la soutenabilité de ce modèle protecteur.

Il faut le dire et l’assumer : défendre notre modèle social, c’est faire mentir les fatalistes, les déclinistes, qui brandissent l’épouvantail du gouffre sans fond et la menace de l’assistanat. Parce qu’il n’y a pas de fatalité.

Depuis 2012, nous agissons en modernisant pour tenir compte des nouvelles réalités de la société. Et les résultats sont là. Le déficit du régime général a été réduit de 40% en 3 ans, la branche vieillesse sera, elle, à l’équilibre financier à partir de 2016. Je le dis à mes concitoyens : ayez confiance !

Création de la CSG, de l’ONDAM, des lois de financement de la sécurité sociale, des conventions d’objectifs et de gestion… beaucoup a été entrepris pour adapter les recettes à l’évolution de la sécurité sociale et améliorer son pilotage financier. Il faut le dire, cette multiplication des réformes est venue altérer la simplicité de notre système. La modernisation du financement sera assurément l’un des grands enjeux des années à venir. Trois maîtres mots devront guider cette réflexion : lisibilité, efficacité et justice.


Mesdames, messieurs,

De cet anniversaire nous prendrons prétexte pour parler de demain, pour envisager l’avenir et si c’est à la Mutualité que nous sommes réunis, lieu historique d’autres modes d’entraide mais dont le choix ne résulte que du hasard des disponibilités, c’est bien la sécurité sociale, forme la plus aboutie, presque la plus absolue, de la solidarité, que nous célébrons aujourd’hui.

Je tiens à remercier tous les participants et tous les intervenants, en premier lieu les partenaires sociaux dont l’histoire des 70 dernières années est intimement liée à celle de la sécurité sociale, les parlementaires qui ont la responsabilité de son contrôle financier, mes prédécesseurs dans ce grand ministère qui ont eu celle de faire valoir les attentes et les objectifs de l’Etat et mes collègues étrangers qui sont venus nous dire ce que notre modèle peut avoir d’universel mais  aussi d’original.

Mais le « système », c’est d’abord des femmes et des hommes. Aussi je veux profiter de ce moment et de la présence des présidents et directeurs de caisses présents (il faudra veiller à une plus grande parité dans ces fonctions avant les 80 ans)  pour les remercier et à travers eux tous les agents de la sécurité sociale. Ils sont 150 000 répartis dans les 4 branches de la sécurité sociale et implantés sur tout le territoire. Je sais que pour eux, la sécu est une histoire vivante, en marche, à laquelle ils sont viscéralement attachés. Cette journée est aussi la leur.

Bel anniversaire à la sécurité sociale, longue vie à l’Etat social français et belle journée à tous.

Author: Redaction